Billet MPM de novembre 2023
La question du sens
au centre des débats sur l’école
Jusqu’ici, le Billet mensuel de la MPM a toujours revendiqué son indépendance par rapport à l’actualité chaude de l’école, de l’éducation, de la pédagogie. Aujourd’hui, ce n’est plus possible de faire comme si rien ne s’était passé ce vendredi 13 octobre 2023, au groupe scolaire Gambetta d’Arras. C’est loin de Mulhouse, mais le sauvage assassinat d’un prof de français nous touche d’autant plus que, depuis le début de l’année, une équipe de la MPM est engagée dans un travail sur le sens de l’école pour les élèves.
Pour les enseignant(e)s, le sens de l’école doit être clair !
Pour l’assassin de Dominique Bernard, tout comme pour celui de Samuel Paty, il y a 3 ans, le sens de l’école est évident : elle est porteuse des valeurs de la République, de la formation de l’esprit critique, du refus de l’obscurantisme et du fanatisme, elle est vecteur d’émancipation, comme sont venus nous le rappeler Aziz Jellab, en février 2022, puis Benoît Falaize et Kamel Chabane en mars dernier.
Aujourd’hui, c’est Viviane Youx, présidente de l’Association française pour l’enseignement du français, qui, dans l’Expresso du Café pédagogique du 16 octobre, réagit à ce triste événement, en rappelant le sens de l’école et de l’enseignement de sa discipline.
« Vendredi 13 octobre, dans son établissement, notre collègue Dominique Bernard, a été tué d’un coup de couteau. (…) en visant directement l’École, ce nouvel attentat nous touche au plus profond de notre chair, de nos convictions, de nos valeurs. Lieu emblématique, l’École est attaquée pour les principes qu’elle défend : liberté de pensée et d’expression, pluralité des opinions et des religions, droits égaux à l’éducation pour les filles et les garçons, égalité des chances, solidarité. Bref : « liberté, égalité, fraternité ». En entrant sournoisement dans nos écoles pour tuer, ce sont ces principes que le terrorisme islamiste combat et attaque.
Nous, professeur·e·s de français, sommes particulièrement bouleversé·e·s aujourd’hui : non seulement Dominique Bernard était des nôtres, mais à travers lui c’est tout le sens de notre métier et de notre engagement qui est frappé. Si l’idéologie terroriste cible en premier lieu le récit scientifique international de l’histoire-géographie, elle attaque aussi de plein fouet nos valeurs et notre engagement : l’émancipation par la langue, la parole, la culture, l’écriture, la lecture. Notre métier est d’enseigner la langue et la littérature françaises pour que les élèves apprennent à penser et vivre ensemble en se respectant. Nous leur enseignons à lire et à écrire, lire pour comprendre, s’informer, discerner, réfléchir, critiquer, imaginer ; écrire pour s’exprimer, penser, inventer, développer leur conscience, ressentir. Nous leur enseignons, par la littérature, les arts, l’écriture créative, à développer leur sensibilité, essentielle pour comprendre les autres, pour être tout simplement humains.
C’était le travail de notre collègue tué ce 13 octobre, conduire ses élèves avec humanité vers la littérature, l’écriture, la pensée, la parole. »
Et les élèves ? Quel sens donnent-t-ils à l’école et aux apprentissages scolaires ?
C’est la question qu’une petite équipe de la MPM a posée, en juin dernier, à des élèves de 4e de 5 col-lèges de l’agglomération mulhousienne. Une enquête conduite à l’aide d’un questionnaire élaboré en concertation avec 2 chercheurs en sciences de l’éducation, Patrick Rayou et Elisabeth Bautier (Université Paris 8). Tous deux sont membres du CICUR (Collectif d’interpellation du curriculum), qui interroge le rôle des contenus d’enseignement et des démarches d’apprentissage dans la persistance des inégalités scolaires. C’est à l’issue de la présentation de cette interrogation de fond par P. Rayou lui-même à la MPM, en novembre 2022, qu’est né le projet de notre enquête.
Trois enquêteurs témoignent de leur expérience :
« J'avais un peu appréhendé la première interview tout comme l'élève interrogé. Heureusement le fait d'exposer au préalable les raisons de cette enquête (améliorer l'école grâce aux témoignages des élèves) a, d'entrée créé un contact rassurant et confiant. La majorité des élèves a répondu en toute franchise et sincérité malgré de nombreux "je ne sais pas" ».
« Photographie subjective que ce questionnaire, à un instant T ; mais néanmoins, pour la MPM, incursion dans le monde réel des établissements scolaires. Établissements dans lesquels nous avons toujours été bien reçus, et dans lesquels nous avons toujours eu en face de nous des élèves respectueux… peut-être parfois intimidés par l’aréopage de la MPM. Le questionnaire était consistant, et comprenait des questions qui très souvent pouvaient susciter des commentaires… plaisir que j'ai eu à participer à cette enquête sur le terrain, plaisir que je n'aurais pas cru trouver en la commençant. »
« Expérience très réjouissante, stimulante.
Déjà, se retrouver à nouveau devant des élèves, qui n’ont, tous comptes faits, pas « changé» … Certains(nes) bien décidés(ées) en arrivant à ne pas rater l’occasion de se faire entendre. Et de ressentir, rapidement chez tous et toutes, fortement leur intérêt à notre enquête, le sérieux de leurs réponses, l’écoute intense, le réel engagement durant le questionnement, leur étonnement que l’on puisse donner son avis sur une institution intouchable. Ils-elles- semblaient fiers en partant ; c'était perceptible, même de dos en les voyant s’éloigner...
Sans doute un moment fort de leur année écoulée… de mon année à moi également...
Le comité de la MPM au contact, sur le terrain, dans les tranchées, dans le cambouis. Vivifiant en titillant, si besoin est, la curiosité de la MPM ? »
En fin d’entretien, un élève a demandé : « Pourquoi vous faites ça ? »
La réponse est là : après analyse et traitement du matériau recueilli, les résultats de cette enquête sont prêts à être présentés en 2 temps :
- une première fois, le lundi 13 novembre, à l’échelle nationale, dans le cadre de la 6e séance du webinaire du CICUR, aux côtés d’autres intervenants ;
- une seconde fois, au plan local, le 29 novembre, lors d’une Rencontre-débat de la MPM ouverte à toutes celles et tous ceux qui veulent en savoir plus sur ce que veut dire « aller au collège » pour des élèves de 4e .
Les élèves ont rarement l’occasion de faire part de leur vécu, de leur ressenti, de s’exprimer sur leur expérience scolaire. Ils ont pourtant des choses à dire sur les différents sujets abordés au travers du questionnaire qui leur a été soumis :
- selon eux, à quoi sert l’école ?
- que pensent-ils de ce qu’ils y apprennent ?
- estiment-ils qu’apprendre au collège est facile ou difficile ?
- comment perçoivent-ils les relations avec les adultes au sein du collège ?
- pour eux, que faudrait-il changer pour améliorer l’école ?
Autant de questions - et beaucoup d’autres – qui ont permis aux élèves de s’exprimer aussi librement que possible. Et des réponses, tantôt attendues, tantôt surprenantes. Une photo inédite de la classe de 4e qui ouvre sur d’autres questions :
- en quoi cette enquête nous permet-elle de mieux connaître les élèves ?
- en quoi peut-elle nous aider à faire de l’école en général et du collège en particulier un lieu de vie et d’apprentissage dans lequel élèves et personnels se retrouvent autour de savoirs et d’activités d’enseignement-apprentissage qui font sens pour les deux parties ?
En décembre : une rencontre exceptionnelle avec le grand pédagogue, Fernand DELIGNY
On pourrait aussi ajouter qu’il s’agira d’une rencontre « hors normes ». Et ce, d’un double point de vue :
- d’une part, parce que Fernand Deligny (1913-1996) occupe une place singulière dans le panthéon des grands pédagogues, comme le laissent entendre les titres de certains de ses ouvrages : « Graine de crapule » ou « Les vagabonds efficaces ». Toute une vie d’éducateur consacrée aux enfants difficiles ou délinquants et aux enfants autistes, dans une approche pédagogique en rupture avec les pratiques dominantes de prise en charge de ces publics ;
- d’autre part, parce que cette rencontre co-organisée par la MPM et le Rezo ne démarrera pas avec la traditionnelle projection d’un petit documentaire réalisé par Philippe Meirieu. En revanche, nous aurons le grand plaisir de faire la connaissance de Fernand Deligny en compagnie de Marc Heber-Suffrin, qui a eu l’immense chance de le côtoyer.
Une rencontre qui aura lieu en visio le lundi 4 décembre, de 18 h 30 à 20 h 30. Précisons que, par ailleurs, Marc Heber-Suffrin est, avec son épouse, Claire, l’auteur d’un récent ouvrage, « Clés pour une ville apprenante », qui devrait parler aux animateurs du Quart-Lieu Apprenant de Bourtzwiller aussi bien qu’à tous les acteurs du Plan Ambition Mulhouse ville éducative.
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