La MPM avec

Réenchanter l’école et les savoirs

dans le monde incertain que nous vivons ?

Plaidoyer pour une institution plus solidaire

et qui émancipe des déterminismes

 

Rencontre-débat

Le jeudi 24 février 2022 de 18 h 30 à 21 h 00 au Lycée Roosevelt à Mulhouse (parking place du marché)

Lorsqu’on procède par une analyse du monde dans lequel nous vivons, on ne peut qu’être frappé par l’ampleur des défis à relever : qu’il s’agisse des nouvelles technologies, du numérique et de ses conséquences, des progrès de la médecine mais aussi de ses incertitudes, du réchauffement climatique, du développement durable avec la raréfaction des ressources ou matières premières, ou encore de différentes formes de radicalisation (terrorisme, obscurantisme, extrémismes politiques…), les problèmes sont immenses. Et la crise sanitaire que nous traversons – qui est bien plus que sanitaire – a tout autant mis en évidence l’ampleur des inégalités que l’importance des institutions qui ont su, à l’instar de l’école et des hôpitaux, donné un sens concret aux notions de solidarité et d’intérêt général.

Alors que l’on dénonce l’individualisme envahissant et le repli sur soi, il faut cependant saluer les élans de solidarité qui ont vu le jour afin de maintenir une « continuité pédagogique » car ils illustrent le besoin de l’institution scolaire, une institution dont les missions à venir devront être, à côté de la transmission des savoirs, de sensibiliser davantage les élèves à des valeurs humanistes, de solidarité, de justice et d’inclusion. L’école ne saurait asseoir son caractère instituant que si elle inscrit au cœur de son projet émancipateur la transmission aux nouvelles générations d’un patrimoine culturel légué par les générations antérieures, tout en tenant compte des enjeux sociaux et politiques du monde contemporain et de celui à venir.

Comment alors réenchanter l’institution scolaire et plus particulièrement les savoirs scolaires en en faisant le moyen par lequel les élèves, citoyens de demain, construisent un rapport éclairé à un monde en profonde transformation ? Comment faire en sorte que l’école devienne réellement un lieu qui facilite la réussite scolaire mais aussi une réelle égalité des chances, objectif qu’elle peine à atteindre ? Les points suivants permettent, chacun à son niveau, de répondre à ces interrogations :

  • une institution qui trace un chemin et autorise l’émancipation
  • une école qui place au centre de l’enseignement, la promotion de l’humain et de la solidarité
  • la prise au sérieux de la qualité de la relation aux élèves qui est constitutive du projet démocratique
  • la promotion des pédagogies coopératives, gage d’une plus grande confiance lors des apprentissages et de l’acquisition des compétences psychosociales
  • la mixité sociale ou comment faire en sorte que les élèves « habitent le même monde et partagent les mêmes chances d’émancipation intellectuelle ?

 

L'intervenant : Aziz JELLAB

Aziz Jellab est habilité à diriger des recherches, docteur en sociologie et en sciences de l'éducation. Inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, et professeur des universités associé à l'INSHEA (université Paris Lumières), il a mené plusieurs recherches de terrain sur différentes thématiques en éducation : l'enseignement professionnel, l'entrée dans le métier chez les professeurs du second degré, l'évaluation des élèves, l'équité dans les établissements scolaires, l'exigence et la bienveillance à l'école, l'éducation prioritaire.

 

Trace élaborée par Jean-Pierre Bourreau à partir de l’enregistrement audio de la soirée. Avec le concours de Thomas Choisy et de Michèle Sanchez

 
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Le propos s’inscrit dans le cadre d’une préoccupation scientifique et pratique permanente à savoir l’égalité des chances et les conditions de sa réalisation effective, et ce, en formulant deux questions : comment améliorer le fonctionnement de l’école pour qu’elle soit la plus juste, la plus équitable possible ? Comment peut-on lutter contre les déterminismes sociaux et culturels sans succomber à une quelconque naïveté ?

Aziz Jellab profite de sa présence dans un lycée professionnel pour souligner que, pour lui, le LP fonctionne comme une « instance de réparation » pour des élèves fâchés avec l’école. Il est loin d’être cette institution dite de « relégation » comme peut le prétendre une partie de l’opinion publique mais aussi comme le soutiennent certains sociologues qui mobilisent les travaux de Pierre Bourdieu en ne retenant que ce qui conforterait la thèse de la domination et de la reproduction. Le LP contribue ainsi à la démocratisation scolaire car les expériences y sont très variées et permettent à des élèves de se réconcilier avec les études et l’avenir.

 

 

Éléments de contexte et postulat de la nécessité de l’institution 

La crise sanitaire a fonctionné comme miroir grossissant des inégalités, en même temps qu’elle a montré l’importance de l’institution. En effet, pendant cette période, l’école a tenu grâce à ses acteurs à commencer par les professionnels de terrain dont le plus grand contingent est composé d’enseignant(e)s. 

En France, l’école est un objet passionnel dans lequel l’émotion l’emporte sur la raison (voir, à ce propos, les débats autour de la loi de 1989 qui met « l’enfant au centre du système »). Plusieurs facteurs sont venus accentuer une certaine crispation sur l’école à laquelle on demande beaucoup :

  • un contexte marqué par des changements économiques et des fragilités sociales qui alimentent les craintes des parents concernant le déclassement social pour leurs enfants, et qui conduit à l’exacerbation de la recherche d’un entre-soi au détriment de la solidarité et de la fraternité ;
  • la peur de l’avenir, les incertitudes sanitaires, la remise en cause de la science ;
  • une défiance à l’égard des institutions qui sont contestées depuis plusieurs décennies mais qui font désormais l’objet d’une critique parce qu’apparaissant à la fois éloignées de la vie des citoyens et ne proposant pas d’alternatives plus ou moins enchantées (il n’existe plus de véritable récit pour construire un avenir meilleur, le discours politique dominant est à la fois anxiogène et semble enfermé dans des logiques adaptatives au marché, aux risques…).

En même temps, et c’est sans doute une réelle opportunité qui invite les pouvoirs publics et la société civile à s’en saisir, la crise sanitaire a mis au jour la possibilité d’un réenchantement des institutions, à l’instar de l’école et des hôpitaux. Les hommages, même ponctuels, rendus aux soignants, aux enseignants, aux professionnels de terrain qui sont au contact direct des publics, ont mis en relief l’importance de l’institution. 

Mise souvent à mal, l’école incarne un système qui reste très inégalitaire : l’enquête PISA (programme international de suivi des acquis des élèves) publiée en 2019 et qui évalue différentes connaissances et compétences des élèves (en mathématiques, en lecture et en sciences) place la France au 26ème rang des 79 pays concernés par l’évaluation, dont 36 appartenant à l’OCDE. Le système éducatif fait très bien réussir les enfants de milieu favorisé et renforce les difficultés de ceux qui sont issus de milieu moins favorisé. Ainsi, si dans tous les pays dont des élèves ont été évalués, le niveau à l’écrit des 10 % d’enfants de familles les plus riches équivaut à trois années scolaires, comparé à celui des enfants de familles les plus pauvres, cet écart atteint quatre ans en France. 

Repenser la question de l’égalité des chances, c’est donc poser fondamentalement la question suivante : quel projet de société, quel projet d’école peut-on construire dans ce contexte marqué par des mutations, et où le système éducatif est paradoxalement dénoncé pour son caractère injuste, tout en démontrant, par temps de crise, sa capacité à faire face, à « tenir » ?

 

Une institution qui trace un chemin…

On peut rappeler que nous avons un système très hiérarchisé qui a du mal à promouvoir l’égalité des chances et dont on peut résumer ainsi la teneur : 

  • une très forte sur-représentation des enfants de cadres et de CSP supérieures dans les classes préparatoires aux grandes écoles et dans les choix d’orientation vers les formations les plus prestigieuses qui sont aussi les plus sélectives ;
  • de fortes disparités dans les acquisitions scolaires ainsi que dans les trajectoires (davantage de redoublements et de réorientations chez les élèves issus de milieu populaire) ;
  • l’accès aux grandes écoles lui-même porte aussi l’empreinte des inégalités sociales qui ne s’expliquent pas seulement par des inégalités scolaires (les enfants de milieu favorisé sont mieux accompagnés dans leurs projets, aidés par des pratiques éducatives assurées par des parents initiés aux différents codes ; les enfants de milieu modeste sont davantage exposés au risque de l’auto-censure…).

La mobilité sociale a ralenti et la compétition scolaire s’est accentuée. Le poids de l’origine sociale reste très déterminant sur la réussite scolaire. L’école fonctionne comme « une machine à distiller les parcours », à produire des élus et des vaincus de la compétition scolaire».

Dans ces conditions, comment gérer des flux scolaires avec une personnalisation des parcours ? L’orientation fonctionne soit comme une expérience positive pour l’élève, soit comme un motif de ressentiment. Alors qu’il n’y a pas qu’un seul type de réussite, la réussite académique ne correspond pas nécessairement à la réussite individuelle. Le système ne donne à voir qu’un seul type de réussite, malgré l’appel à l’envi à la valorisation de « tous les talents ». Or si l’on doit effectivement considérer qu’il y a différentes manières de réussir à l’école et dans la vie, il faut promouvoir autrement les différentes filières et spécialités, repenser la linéarité des parcours qui est souvent posée comme un modèle – avoir une année dite de retard hypothèque fortement l’entrée dans certaines formations – et valoriser différentes manières d’étudier et de se former en veillant à ce qu’elles profitent à tous les élèves. C’est donc un nouveau récit sur l’école qu’il faut réinventer.

 

 

Une institution qui autorise l’émancipation

Le point de départ de la réflexion et des travaux sur le système éducatif français a pris comme objet le lycée professionnel. Loin des considérations misérabilistes qui ont conduit beaucoup de sociologues, et parce qu’il forme essentiellement à un salariat d’exécution, à identifier le lycée professionnel à l’école des ouvriers, ce qui les empêche d’en apprécier la complexité, c’est la possibilité de l’émancipation qu’il autorise qui est plus que jamais importante à observer. C’était déjà le propos de l’ouvrage de A. Jellab, paru en 2014 et ayant pour titre « L’émancipation scolaire ; Pour un lycée professionnel de la réussite ». On y voit que l’origine sociale n’est pas totalement déterminante dans la mesure où l’expérience singulière peut aussi jouer un rôle important en tant que rencontre entre un parcours, une origine sociale et un contexte pédagogique. 

L’émancipation est l’idée selon laquelle l’élève peut se libérer de certains déterminismes, s’affranchir de la dépendance comme lorsqu’un mineur s’émancipe de la tutelle de l’adulte. Pour devenir émancipatrice, l’école a plusieurs défis à relever :

  • il faut donner du sens aux savoirs scolaires sans les réduire à leur utilité ;
  • il faut former à l’empathie et à l’esprit éclairé et critique (surtout que l’école n’est plus la seule à transmettre des savoirs, ce qui ouvre toute la réflexion sur la maîtrise des moyens d’information en dehors de l’école)
  • il faut promouvoir l’esprit de solidarité et d’entraide.

Mais l’émancipation des élèves exige aussi que les enseignants et les personnels d’éducation s’émancipent de différentes contraintes et assument réellement la liberté pédagogique. Savoir ce que l’école doit à chacun des élèves, c’est aussi prendre du recul avec sa pratique professionnelle et lui donner du sens. S’émanciper c’est prendre conscience des contraintes et des marges de liberté que l’on peut activer, tout en se décentrant partiellement de son point de vue afin de comprendre l’autre – l’élève – et son rapport à l’école et aux savoirs. Cette empathie qui ne sacrifie pas les savoirs est salutaire. Elle doit s’accompagner d’une promotion-réalisation de collectifs un collectif qui a une dimension pédagogique et pas seulement relationnelle.

Favoriser l’émancipation dans un contexte de compétition pose la question de l’institution et de sa capacité à articuler des valeurs en tension. Malgré les critiques dont elle est souvent l’objet, l’institution a montré pendant la pandémie qu’on en a besoin, mais à condition de la repenser, dans les directions suivantes :

  • en faisant plus confiance aux acteurs de terrain,
  • en mettant l’accent sur l’accompagnement plutôt que sur le contrôle, - en pensant l’école en dehors de l’école ;
  • en interrogeant les savoirs et leurs finalités.

     

     

Une école qui place au centre la promotion de l’humain et de la solidarité

Il est temps d’œuvrer à une utopie du dépassement des égoïsmes, de l’entre-soi.  En France, on le sait, le diplôme est déterminant dans le devenir professionnel de chacun, et donc dans la fabrication des inégalités sociales entre les individus. D’où la question : qu’est-ce que l’école doit à tous les individus ? Comment peut-elle contribuer au processus d’humanisation et de développement de la solidarité ? Répondre à cette question de manière sérieuse passe par une réflexion sur les savoirs et leurs finalités intellectuelles. C’est le rôle de certaines matières, comme l’histoire, qui peut créer du commun avec les différentes mémoires présentes dans la classe, montrer aux élèves que cet enseignement est vivant dans la mesure où il relate des temporalités, des mémoires, des événements inscrits dans des rapports historiques, culturels et intergénérationnels à travers lesquels les récits autorisent de penser le lien entre histoires collectives et histoires singulières. Le pari est de faire en sorte que l’école soit en phase avec son temps, sans abandonner sa mission d’élévation des esprits éclairés et critiques. Une école qui place l’humain au centre est celle qui crée des liens entre les générations avec la transmission des valeurs de solidarité, la transmission aussi de cette valeur selon laquelle chacun est redevable à un héritage culturel et collectif.

 

 

Un éloge des enseignants

Le confinement a permis de mettre en évidence l’importance de la relation et du souci de l’autre, avec la nécessité d’une double reconnaissance : de l’élève par l’enseignant et de l’enseignant par l’institution (en autorisant aussi les professionnels à prendre des risques). Loin de ces images négatives véhiculées sur les enseignants, la réalité de leur travail a été saluée et reconnue, notamment par les parents. Ce métier si exigeant, si important, manque paradoxalement de reconnaissance et bien audelà de son attractivité, c’est aussi sa complexification devant les nombreux défis à relever qui nécessitera la présence et l’accompagnement par une institution qui ne peut plus tout gouverner du centre.

 

 

La prise au sérieux de la qualité de la relation aux élèves, qui est constitutive du projet démocratique

C’est admettre et reconnaître la place de l’affectif dans la relation pédagogique. Mais c’est aussi savoir que l’élève peut aussi établir des relations de qualité en dehors de l’école. Quel dialogue peut-on alors opérer entre l’école et la vie ? comment développer chez les élèves qui ne sont pas que des élèves, des compétences et des habiletés qui installent de la confiance en leurs capacités et en l’avenir ? La réponse est à chercher du côté de l’expérience, faire vivre des expériences aux élèves, leur donner réellement un pouvoir-d’agir autour de projets communs, c’est lutter contre le repli sur soi, contre le désinvestissement de la vie publique, contre le fatalisme et l’autocensure.

 

 

Une école de l’exigence et de la bienveillance

La question de la bienveillance s’inscrit en rupture avec une tradition de l’école de mise à distance des émotions, du milieu familial. Le confinement a amené certains enseignants à modifier leurs pratiques (par exemple dans le domaine de l’évaluation), notamment parce que la relation a changé de nature, en passant d’une relation au groupe-classe à une relation avec l’élève. La distance a favorisé l’individualisation du suivi pédagogique. Comment œuvrer pour une exigence bienveillante ? Celle-ci réfère d’abord aux savoirs, à leur sens, à l’explicitation de leurs enjeux. La bienveillance est affaire d’interactions, d’apprentissage, d’évaluation et d’accompagnement. Elle devrait constituer le moyen à travers lequel on instaure un cadre positif et mobilisateur. Il convient aussi de souligner que si la bienveillance alliée à l’exigence vient rappeler l’importance de la dimension affective dans tout apprentissage, elle s’avère encore plus déterminante à mesure que les enseignants exercent auprès d’élèves issus de milieu populaire. 

 

 

La promotion des pédagogies coopératives, gage d’une plus grande confiance dans les apprentissages et  de l’acquisition des compétences psycho-sociales (empathie, prise d’initiative, engagement…)

La question de la confiance se retrouve sous différents aspects :

  • dans la reconnaissance du droit à l’erreur comme facteur d’apprentissage et de nonjugement ;
  • dans l’introduction d’une souplesse dans le parcours de formation des élèves (ex. de l’année sabbatique après l’obtention du bac ou de la possibilité du retour à la formation après l’abandon d’un cursus).

 Pour un élève, apprendre, c’est toujours apprendre pour quelqu’un (y compris pour lui-même). Raison de plus pour rappeler l’importance du contexte, des relations dans les apprentissages. Faire en sorte que les élèves apprennent des uns et des autres et qu’ils se décentrent pour construire une pensée à travers les interactions.

 

 

Un numérique éducatif réinterrogé 

La crise sanitaire – il est préférable de parler d’incertitude que de crise – a mis au jour des inégalités sociales dans toute leur épaisseur. Elle a aussi eu comme vertu de reformuler de nouvelles questions. Ainsi en est-il du numérique éducatif : s’agit d’une alternative à ce que l’on appelle la forme scolaire, d’une nouvelle école hors les murs ? n’est-il pas question d’une modalité complémentaire à l’enseignement classique qu’il est venu soutenir durant les différents confinements ? quelle est l’efficacité du numérique au plan des apprentissages ? redéfinit-il les caractéristiques du travail personnel de l’élève et plus globalement la relation enseignant/élève ? 

La mixité sociale ou comment faire en sorte que les élèves habitent le même monde et partagent les mêmes chances d’émancipation intellectuelle ?

La question de la mixité sociale se joue aussi dans les savoirs et dans la place que l’institution leur accorde et, en retour, dans celle que les élèves leur accordent en fonction de leur cursus (ex. de la place de l’enseignement général en lycée professionnel).  Elle se joue aussi dans la politique de la ville dont on sait qu’elle a des effets sur la composition sociologique des écoles et des établissements ainsi que sur les stratégies de contournement chez les parents les plus éclairés. Mais la mixité sociale pose fondamentalement la question suivante : quel type de société voulons-nous ? Une société solidaire ou une société séparée, compartimentée ? Certes, on ne peut qu’être vigilant à l’égard de nouvelles formes de communautarisme mais celui-ci peut aussi parfois être non choisi, subi, renforçant ainsi l’isolement de certaines populations, conduisant à une « France périphérique » que l’on observe également dans des villes importantes ou de taille moyenne. 

Certes, l’école ne peut pas tout faire, mais elle peut faire des choses ; ce qui demande une volonté, qui n’est pas que politique. L’individualisme, la préférence pour l’inégalité – pour reprendre le titre d’un ouvrage de François Dubet – ne peut être la réponse par temps d’incertitude. On peut aussi penser qu’une école réellement mixte socialement et culturellement permettra aux élèves de découvrir d’autres univers, d’apprendre tout autant sur les autres que sur eux-mêmes, ce qui est de nature à créer une société plus solidaire, plus humaine et aussi plus juste. De ce point de vue, l’égalité doit être complétée par une équité. Celle-ci vise à introduire une inégalité de traitement pour favoriser l’égalité réelle, ce qui veut dire qu’il existe des « inégalités justes ».

 

 

Conclusion : pour un nouveau récit, pour une école plus solidaire et plus juste

Cela passe par :

  • la formation et l’éducation à la citoyenneté
  • la compréhension du monde contemporain
  • une institution qui tient compte des élèves et de leurs aspirations, de leur singularité - la connaissance de notre culture et des autres cultures.

 

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Les échanges avec le public présent dans la salle et à distance ont permis à Aziz Jellab de revenir sur certains points de son intervention.

Sur les causes des inégalités scolaires en France, qui sont plurielles :

  • les causes économiques, les moyens d’accès à la culture ;
  • les inégalités culturelles, le niveau de formation des parents dont dépendent la compréhension des attendus, des implicites et des codes de l’école, une certaine proximité du milieu familial avec le monde scolaire ;
  • les inégalités de contexte, dont dépend l’offre de formation ;
  • des inégalités de genre filles/garçons ;
  • plus spécifiquement en France : le collège ne corrige pas les inégalités scolaires à l’issue de l’école primaire car la tendance est au tri du fait de la difficulté à « faire le programme » en tenant compte de la grande diversité des élèves : la différenciation pédagogique doit être abordée à l’échelle de l’établissement.

Sur les difficultés à mettre en place une pédagogie de la coopération compte tenu de l’évolution des publics : comment engager tous les élèves dans les apprentissages tout en prenant en compte les singularités, est une des grandes difficultés du métier :

  • comment les équipes interrogent-elles leurs pratiques ?
  • quel rôle peut jouer l’institution ? En accompagnant les acteurs autour de problématiques très concrètes.

Sur les difficultés de mise en place de la politique d’inclusion scolaire 

Historiquement, en France, on a toujours eu un problème avec le traitement de la difficulté scolaire car celle-ci remet en question le caractère normatif de l’institution, le souci constant de la conformité avec les programmes. Mais l’écart important entre les injonctions et le public débouche souvent sur le « travail empêché ». L’inclusion interpelle les enseignants habitués à travailler avec un certain type de public. Il y a là un manque et un besoin évidents de formation car l’inclusion doit pouvoir contribuer à l’émergence d’une société plus humaine. En précisant que la pédagogie adaptée pour les élèves à besoins particuliers doit aussi pouvoir servir pour les autres élèves (notion d’ « inclusion réciproque »). Il s’agit d’avoir une « lecture en positif » des élèves (formule de Bernard Charlot) : partir des élèves tels qu’ils sont et non pas des élèves tels qu’on voudrait qu’ils soient.

Sur le découpage disciplinaire des enseignements en collège 

C’est la question du dialogue entre les savoirs scolaires et la référence à la culture universitaire. Les savoirs ont certes une histoire mais, pour les élèves, c’est le lien entre les différentes disciplines qui leur permet de donner du sens aux apprentissages. Ce qui suppose un changement complet dans le fonctionnement de l’école, sans oublier de poser la question : quels savoirs doit-on enseigner aujourd’hui ?

Sur les relations entre l’Éducation nationale et les écoles alternatives

On a un peu tendance à penser qu’il n’y a qu’un seul modèle de formation et il est bon d’aller voir ce qui se fait ailleurs. L’approche par l’expérience mise en œuvre par l’éducation populaire permet souvent de réconcilier des élèves avec les apprentissages. C’est une invitation à analyser collectivement les problèmes rencontrés à l’école pour leur apporter des réponses. L’éducation est une affaire complexe et aucun modèle ne peut prétendre à lui seul résoudre tous les problèmes.

Sur la façon dont le lycée professionnel peut (ré)enchanter les apprentissages scolaires

Le lycée professionnel permet souvent à des élèves fâchés avec le savoir d’y découvrir de l’intérêt. D’où la question : comment s’opère le « déclic » ? En allant voir sur le terrain les pratiques pédagogiques des enseignants : ils inventent des solutions qui ne séparent pas la relation des exigences de l’accompagnement ; ils permettent ainsi aux élèves d’exercer une emprise sur leur quotidien, de sortir de leur passivité et, au bout du compte, de se construire comme sujets. En partant de la difficulté des élèves, les enseignants construisent ainsi autrement le rapport au savoir chez les élèves.

Une dernière intervenante évoque la « théorie du 100e singe » selon laquelle rien ne bouge jusqu’à ce qu’on arrive à une certaine proportion de la population qui fasse céder l’immobilisme. Dans l’Éducation nationale, ce que chacun peut faire à son niveau peut contribuer à faire évoluer le système…

Un grand merci à Aziz Jellab pour sa relecture et les compléments qu’il a apportés a posteriori.

 

Parutions récentes

  • Une fraternité à construire. Essai sur le vivre-ensemble dans la société française contemporaine, Berger-Levrault, 2019
  • L’éducation prioritaire. Bilan et devenir d’une politique emblématique, L’Harmattan, 2020.
  • L’école à l’épreuve des incertitudes. Plaidoyer pour une institution émancipatrice, BergerLevrault, 2021
  • « Le confinement et l’école d’après : les enseignements d’une expérience inédite »,
  • Administration et Éducation, n° 169, 2021/1. https://www.cairn.info/revue-administrationet-education-2021-1-page-23.htm