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Et si les contenus d’enseignement étaient (aussi)

la cause des inégalités scolaires ?

 

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Rencontre-débat 

Le jeudi 17 novembre 2022 de 18 h 30 à 21 h

au Lycée Roosevelt à Mulhouse (parking place du marché)

 

Malgré des réformes périodiques plus ou moins profondes de notre système scolaire, de la maternelle au lycée :

  • les programmes scolaires en vigueur dans notre école ressemblent souvent à un chaos peu compréhensible y compris pour des spécialistes de l’éducation ;
  • la finalité générale de l’enseignement semble perdue de vue et s’articule mal aux idéaux de liberté, égalité et fraternité ;
  • le rôle des différents pouvoirs dans la définition de ce qui doit être enseigné et appris est flou : la coupure entre savoirs scolaires et non scolaires est un obstacle à la réussite des enfants de milieux populaires ;
  • l’organisation du temps scolaire (niveaux, cycles, rythmes…) défavorise les élèves qui ont du mal à s’y adapter ;
  • les enseignants sont peu formés à ancrer leur action dans un cadre collectif et sur la longue durée.

Patrick Rayou, appelle à regarder les inégalités du système éducatif à la lumière dont celui-ci définit, enseigne et évalue les savoirs auxquels les élèves sont confrontés. Il partage trois convictions :

  • les politiques scolaires se désintéressent trop du sens que les savoirs enseignés font pour les élèves et pour la société ;
  • l’école publique d’aujourd’hui n’est pas capable de proposer aux élèves des savoirs communs au long de la scolarité obligatoire ;
  • ces contenus d’enseignement ne répondent pas aux questions posées aujourd’hui à l’humanité.

Au cours de cette rencontre, il développera des approches qui permettent de comprendre plusieurs aspects des programmes scolaires en vigueur et tentera de faire des propositions pour un autre imaginaire éducatif pour une école plus juste, plus émancipatrice et en prise avec les défis de notre temps.

À noter aussi, en complément de cette rencontre, le CICUR organise au cours de cette année une série de séminaires consacrés à ces thèmes ; le premier aura eu lieu le 16 novembre 2022 :

Quelle politique curriculaire pour l’école du 21e siècle ?

Regards internationaux croisés

https://us02web.zoom.us/j/87835928166?pwd=SmM5ZnM3RTBTbnlTTEhXKzlqQWtGZz09

 

Intervenant : Patrick Rayou

Patrick Rayou, est professeur émérite à l’université Paris 8 Saint-Denis. Comme membre fondateur du CICUR (Comité d’interpellation du curriculum français, créé en 2020), il appelle à regarder les inégalités du système éducatif à la lumière dont celui-ci définit, enseigne et évalue les savoirs auxquels les élèves sont confrontés.

 

Repères bibliographiques

    • Forquin, J.-Cl. (2008).Sociologie du curriculum. Rennes : PUR
    • Bautier E., Rayou P., (2009), Les inégalités d’apprentissage, Programme, pratiques et malentendus scolaires, PUF
    • Gauthier, R.-F et Champy, Ph.(2022) Contre l'école injuste, Paris : ESF
    • Rayou, P. (2002).La « dissert de philo ».Sociologie d'une épreuve scolaire. Rennes : PUR
    • Vitale, Ph. (2022.L'école et les savoirs scolaires. Le curriculum et ses sociologies. Rennes : PUR

 

Trace de la rencontre

Rencontre-débat du 17 novembre 2022

Et si les contenus d’enseignement étaient (aussi)

la cause des inégalités scolaires ?

 

Intervenant : Patrick RAYOU

  • Professeur émérite en sciences de l’éducation à l’Université Paris 8
  • Co-fondateur et co-animateur du CICUR (Collectif d’interpellation du curriculum (français)

La question des inégalités scolaires en France a été bien étudiée par la sociologie depuis les années 1960 (Cf les travaux de Bourdieu et Passeron, de Baudelot et Establet). On y montre que, contrairement à son discours méritocratique, l’école française est un instrument de reproduction des inégalités sociales. Elle a même tendance à les aggraver, ce qui n’est pas le cas de tous les pays. Depuis la Libération, les différents pouvoirs en place n’ont certes pas cessé d’ouvrir l’accès aux études au plus grand nombre ; Mais cette « massification » ne suffit pas à réduire les inégalités d’apprentissage. L’hypothèse du CICUR est que celles-ci ont à voir avec les contenus d’enseignement, ainsi que les modalités d’enseignement et d’évaluation.

 

  1. Les inégalités scolaires en France

Elles sont connues grâce à des enquêtes. P. Rayou en présente 2 :

  • PISA mise en place par l’OCDE  au début des années 2000: elle concerne aujourd’hui environ 70 pays de par le Monde et s’intéresse aux performances scolaire des élèves âgés de 15 ans. Les résultats de la France se situent dans la moyenne, mais ils montrent que si l’école française fait bien faire réussir les « bons » élèves, elle fait nettement moins bien avec les autres.
  • celles du CNESCO (Centre national d’étude des systèmes scolaires) qui met en évidence la baisse du niveau des élèves défavorisés et la stagnation, voire l’amélioration du niveau des élites. C’est surtout au collège que ces inégalités se renforcent >>> Voir graphiques est données statistiques dans le diaporama joint pour les math et la compréhension de l’écrit

C’est pour cela que Pierre Merle parle de « démographisation- de l’école et non de démocratisation, ce qui se traduit par un double phénomène de ségrégation et d’éllitisation dans l’accès aux filières les plus recherchées après le bac. Avec, pour accueillir les élèves de milieux modestes, une augmentation des classes prépa privées, voire des formations supérieures également privées. Les IUT ont joué ce même rôle de préparation aux grandes écoles pour les élèves dont les résultats ne leur permettaient pas d’accéder directement aux classes prépa. Un détournement de la vocation initiale de cette structure au profit de ceux qui veulent en faire une marche d’accès aux formations les plus prestigieuses.

 

  1. Le CICUR et le lien entre contenus d’enseignement et inégalités scolaires

Ce Collectif, créé en 2020, « aborde une question qui n’est pas posée dans le débat ordinaire sur l’éducation, ni au plan politique, ni par les praticiens, ni par les citoyens, ni même souvent par les chercheurs : celle des contenus scolaires et de ce que l’école est sensée enseigner et faire apprendre » (extrait du manifeste du CICUR).

Il est ainsi frappant de constater que les programmes des candidats à l’élection présidentielle du printemps 2022 ignorent la nécessité de repenser les savoirs nécessaires pour comprendre le Monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Ceux-ci sont relégués dans les « éducations à… » la santé, la citoyenneté… et ne font donc pas partie du tronc commun des connaissances inscrites dans les programmes des différentes disciplines scolaires.

Les initiateurs de ce Collectif partagent 3 convictions :

 

Conviction n° 1 :

« Ce que les écoles, partout dans le Monde, enseignent aux élèves est sensé faire sens, pour eux et pour la société. Or, les politiques scolaires s’en sont souvent bien trop désintéressées au profit des questions de structures et du développement quantitatif dû à l’accroissement des effectifs, laissant notamment se creuser les inégalités entre les apprentissages des élèves, en liaison, en particulier, avec leur origine sociale ».

La question du sens des savoirs scolaires pour les élèves est centrale. Elle est souvent posée à travers la place de l’ennui à l’école. On fait des études parce qu’on ne peut pas ne pas en faire, on va à l’école pour retrouver les copains… La perte d’appétence des élèves pour les apprentissages scolaires rejaillit à son tour sur le manque d’intérêt des adultes pour l’enseignement. Alors même que des enquêtes récentes montrent que les jeunes diplômés sont de plus en plus en quête d’activités qui ont du sens pour eux et qui sont en cohérence avec leurs valeurs.

Il serait fort intéressant de proposer aux élèves des trajectoires variées et d’égale dignité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans notre système d’orientation.

Par ailleurs, le CICUR formule 2 constats :

  • le système français ne s’appuie pas assez sur le « faire » (entendu ici au sens large, pouvant par exemple inclure le « faire une enquête ») . La tradition française est très conceptualiste et développe très peu les capacités d’invention ; ce qui explique que, dans les enquêtes PISA, les élèves français sont ceux qui ont le plus de mal à fournir des réponses personnelles, avec leurs mots à eux et ce qu’ils sont.
  • le système français ne sait pas bien prendre en compte les savoirs des élèves : il a tendance à faire table rase plutôt que de chercher à amener les élèves à construire des savoirs de plus en plus scolarisés, c’est-à-dire d’être capables de monter en abstraction . On privilégie la notion de rupture par rapport à celle de continuité entre ce que savent les élèves et les savoirs de l’école.

 

Conviction n° 2

« Face à la privatisation des savoirs et à la marchandisation des systèmes scolaires, la définition publique de savoirs communs est un point crucial, pour chaque nation comme pour l’humanité »

Or, l’école publique d’aujourd’hui n’est pas capable de proposer aux élèves des savoirs communs au long de la scolarité obligatoire ; la culture scolaire française reste très fragmentée.

 

Conviction n° 3

Les savoirs proposés par l’école depuis la modernité (XVII-XVIIIe siècle) sont empreints d’une croyance naïve et souvent scientiste dans le développement de positionnements hiérarchiques des cultures et ne répondent plus d’une façon émancipatrice aux questions posées à l’humanité »

À ce stade, P. Rayou fait un point plus théorique sur la notion de « curriculum », en s’appuyant principalement sur celle développée par le sociologue britannique Basil Bernstein dans les années 1970. Outre les programmes et les valeurs qui les sous-tendent, le curriculum prend également en compte les méthodes d’enseignement (autrement dit la pédagogie) et les critères et les modalités d’évaluation.

Dans certains pays, comme la Finlande, le curriculum fait périodiquement l’objet d’un débat national : les différentes disciplines sont sommées de dire en quoi elles contribuent au curriculum (à l’inverse de ce qui se fait en France). Il faudrait d’abord se demander ce que veut faire l’école, et ensuite se demander si toutes les disciplines ont raison d’exister et peut-être d’introduire des disciplines qui ne sont pas encore présentes à l’école (par ex. la psychologie, le droit). En sachant que l’école ne peut pas tout enseigner, elle est obligée d’opérer une sélection… qui dépend de valeurs.

 

  1. Les 6 approches du CICUR pour un autre curriculum

Notre invité a terminé (hélas trop vite) en présentant les 6 approches qui permettent d’ouvrir des pistes pour aller vers un autre curriculum porteur d’un autre imaginaire éducatif :

  • le chaos curriculaire qui se traduit par :
    • un manque de lisibilité et de stabilité de ce qui est enseigné à l’école dans la durée ,
    • un déphasage entre les finalités intrinsèques d’apprentissage des différentes disciplines et les stratégies des élèves et des familles dans le cursus de formation en fonction des portes que telle ou telle discipline permet d’ouvrir dans la poursuite des études ;
  • les finalités de l’enseignement :
    • nous sommes en panne de débat démocratique sur les finalités de l’éducation ;
    • par exemple, comment les différents savoirs pourraient être rattachés à la triade de la devise républicaine ?
  • les pouvoirs organisateurs :
    • l’idée que, dans un système centralisé comme le nôtre, on apprend partout la même chose est une fiction ;
    • qui a légitimité pour décider des contenus d’enseignement aux différentes échelles, de l’établissement aux organisations internationales ?
  • savoirs scolaires et non-scolaires :
    • dès sa création, l’école de la République s’est refermée sur elle-même pour protéger les élèves des influences extérieures jugées néfastes ;
    • aujourd’hui, la question se pose en d’autres termes : comment l’école peut-elle prendre en compte les connaissances acquises à l’extérieur et transformer les compétences acquises en dehors de l’école en compétences académiques reconnues ?
  • le temps et l’organisation scolaires : il s’agit d’interroger ici les rigidités du système :
    • les découpages temporels (l’année ? le cycle ?), les modes de regroupement des élèves, les modalités d’évaluation à l’aune de la diversité de maîtrise des savoirs en jeu ;
    • la spécialisation des enseignants : pourquoi un prof de collège ne pourrait-il pas enseigner en école élémentaire, dans une perspective d’école globale ? Dans le même ordre d’idées, quid de la prétendue monovalence des enseignants du second degré ?
  • les enseignants et le curriculum : au terme de ce passage en revue, on touche inévitablement à la question de la formation des enseignants…

Patrick Rayou termine avec un bref retour à la question du lien entre curriculum et inégalités scolaires. Lui et le CICUR remettent en question la croyance – encore largement partagée – selon laquelle les élèves seraient récompensés en fonction de leur mérite (une conquête de la Révolution française). Or, tous les travaux sociologiques dissipent cette illusion. Le mérite est une construction et la méritocratie ne peut pas faire une offre égale de formation à tous les élèves. La République a cru pouvoir régler le problème avec une offre standardisée. Mais l’école a toujours été ségrégative, et le fait d’ouvrir les vannes n’a pas permis qu’elle se démocratise et qu’elle contribue à la démocratisation de la société.

Place ensuite aux échanges entre le public et l’intervenant…

On met d’abord en évidence les 2 traits saillants de l’intervention de P. Rayou :

  • la persistance, et même l’aggravation des inégalités scolaires en France : on continue à donner beaucoup à ceux qui ont déjà beaucoup et moins à ceux qui ont peu ;
  • l’importance du sens des savoirs scolaires, voire de l’école pour les élèves dans cette spécificité de l'école française.

 

Et la question se pose de la place du politique dans ce tableau très préoccupant. P. Rayou apporte plusieurs éclairages qui vont au-delà de la simple coloration politique des gouvernements successifs :

  • dans nos sociétés, l’école est un enjeu majeur dans la reproduction de la stratification sociale ;
  • l’école n’est pas un « chaos curriculaire » pour tout le monde : les familles qui disposent à la fois d’un capital économique et culturel suffisant sont de très bons stratèges et savent se doter des compétences nécessaires pour faire réussir leurs enfants : aujourd’hui, l’école exige des choses pour réussir à l’école qu’elle n’enseigne pas, ni aux élèves, ni aux familles ;
  • il y a aussi des choses qui tiennent à l’imaginaire collectif :; l’école de la République a réussi à souder la nation française et on est encore aujourd’hui dans un imaginaire de l’intégration, pas dans un imaginaire de la démocratisation ; on en reste à la démocratisation quantitative, celle de l’accès ; on ne se pose pas la question de savoir ce qu’on fait de la culture vernaculaires des élèves pour les amener vers la culture académique. Or, changer d’imaginaire ne va pas de soi : on a beau avoir des connaissances, ce n’est pas pour cela qu’on les met en application (Cf aussi le climat).

C’est pour cela qu’il est important que ces questions soient discutées dans le débat public.

 

Retour sur la question de l’ennui à l’école 

P. Rayou distingue :

  • l’ennui passager, lié à un manque d’intérêt pour un contenu particulier : le recours au jeu peut apparaître comme une solution, mais sa structure rencontre vite des limites et, le plus souvent, l’élève n’apprend que ce qu’il sait déjà ;
  • l’ennui global, qui pose la question du sens de l’école en tant que lieu spécifique d’apprentissage : à l’école, on n’apprend pas de la même manière que dans le reste du monde. Mais, aujourd’hui, nombre d’élèves ne sont pas convaincus que l’école les arme pour le futur ; ils ne sont pas dupes de la valeur de certains titres scolaires pour poursuivre des études o entrer dans la vie active ;
  • à l’école de savoir trouver les moyens de rendre le sens des savoirs accessible, notamment en sachant ce que l’élève est capable de faire, en faisant en sorte que les élèves apprennent de leur erreurs (ce que nos évaluations ne permettent pas).

 

Retour sur PISA et les inégalités scolaires

Ces évaluations ont tendance à donner une image homogénéisante de l’école. Il y a pourtant une géographie des inégalités. De son côté, le rapport enseignement privé/public ne permet pas non plus d’opérer une distinction nette dans le différentiel des inégalités scolaires : il existe des établissements publics privilégiés, tout comme il existe des établissements privés qui ne le sont pas… et qui amènent les familles à se diriger vers le public. On peut être vertueux dans le public.

L’école reflète en partie les modes de fonctionnement de la société mais, à un certain moment, elle les aggrave. A force de ne pas tenir sa promesse, l’école semble décourager les enseignants eux-mêmes de sa capacité à devenir démocratique un jour…

L’Allemagne a réagi très fort et très vite aux résultats des premières enquêtes PISA, au début des années 2000, et elle devenue sensiblement moins élitiste. La France ne l’a pas fait… ou sur des bases qui ont privilégié la diversification des élites plutôt que la démocratisation

Pour terminer, Patrick Rayou renvoie au récent petit ouvrage de ses collègues du CICUR, Philippe Champi et Roger-François Gauthier : « Contre l’école injuste » (ESF, 2022).

Voir aussi le diaporama présenté par Patrick Rayou lors de la séance.

 

Trace rédigée par Jean-Pierre Bourreau

Documents complémentaires

  • Le PPT de présentation de la rencontre 
  • Le PPT d'introduction à la journée de travail du 18 novembre 
  • La trace en version PDF PDF