"Éduquer entre engagement et lucidité"
Qu'est-ce que la pédagogie ? |
"Vous faites quoi à la MPM ?" |
C’est le titre d’un ouvrage d’Olivier Maulini paru au printemps de cette année chez ESF Sciences humaines. Olivier Maulini est professeur associé à l’université de Genève dans le domaine de l’analyse du métier d’enseignant. Pour lui, la mission principale de l’enseignant est de permettre à chacun d’acquérir "des apprentissages qui fondent et rendent possible la vie en société : ceux dont les élèves ont besoin pour devenir garants de l’intérêt commun à la sortie de leur scolarité" (p. 121). Ainsi, le service public d’éducation et d’enseignement a-t-il vocation de permettre à chacun de s’approprier les outils (les armes ?) nécessaires pour participer au débat démocratique comme enjeu planétaire de ce début de XXIe siècle. Et ce n’est pas une mince affaire !
Eduquer, c’est gérer des tensions.
Tout au long des dix chapitres de son ouvrage, O. Maulini procède à une analyse très incisive des différentes facettes du travail enseignant avec une grille de lecture empruntée à Edgar Morin. Eduquer y apparaît alors comme une activité d’une grande complexité, contrainte de gérer en permanence des paradoxes, des contradictions, des tensions entre des pôles opposés et pourtant complémentaires :
- entre la personne et la société (quel intérêt préférer ?)
- entre l’unité et la diversité (comment concilier cohésion et pluralisme ?)
- entre la dépendance et l’autonomie (parce que l’éducation contraint pour libérer)
- entre l’invariance et le changement (puisque l’avenir se prépare par la connaissance du passé)
- entre l’ouverture et la fermeture (pour doser leurs deux nécessités)
- entre l’harmonie et le conflit (parce que l’apprentissage exige déséquilibre et sécurité)
- entre l’égalité et la différence (pour que les choix personnels ne découlent pas de discriminations cachées). (p. 25).
Plus loin, dans le chapitre 5 intitulé "L’autonomie contre l’autorité ?", l’auteur revient sur cette vision dialogique de l’éducation, en refusant d’opposer socialisation et humanisation : "S’humaniser, ce n’est pas se fondre dans un moule, ni s’épanouir en liberté. Encore un paradoxe : la liberté sans norme, c’est le conformisme assuré" (p. 81). "Des compromis sont partout à trouver : entre contrainte et liberté, fermeté et souplesse, légalité et légitimité. Les enseignants les mieux reconnus font ainsi autorité sans avoir à le montrer, parce que leur pouvoir est de facto légitimé" (p. 82).
L’enseignant, l’éducateur entre rêve et réalité
Montessori : Rencontre-débat vendredi 15 novembre 2019 à 18 h 30 au Campus de la Fonderie 16 rue de la Fonderie, amphi 4
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Assemblée Générale au Carré des Associations le 20 novembre à 18 h 30
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À la rencontre des grands pédagogues : Lundi 18 novembre 2019 au Collège Bel Air
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Dès le début de son ouvrage, O. Maulini avait pris soin d’en expliciter le titre : "Pour l'instant, disons que l'enseignement est impensable sans engagement : le maître promet le savoir à l'élève ; il en offre un gage d'apprentissage ; tout cela sans voir ni savoir ce qui se passera à l'arrivée. Le propre de l'engagement est d'être un pari sur l'avenir, sans garantie de retour sur investissement". Mais "c'est parce que nos adhésions et nos élans peuvent nous échapper (ou nous déborder) que s'impose en retour le devoir (et non le don) de lucidité, de clairvoyance, de réflexivité ; pour ne pas nous abuser, ne pas prendre nos désirs pour la réalité, distinguer nos buts de ceux d'autrui, prendre l'adversité pour une partie de la réalité" (p. 18).
D’un bout à l’autre de son ouvrage, O. Maulini n’a de cesse d’explorer les différentes facettes du métier d’enseignant et de repérer cette tension majeure qui le traverse en permanence. Une invitation à analyser notre vécu pour mieux prendre conscience de l’articulation entre liberté pédagogique et contraintes de divers ordres.
Plus l’exploration avance, et plus il invite l’enseignant, mais aussi l’éducateur à occuper tout le terrain entre engagement et lucidité, entre leurs convictions et leur contexte de mise en œuvre dont les réalités sont parfois fort éloignées des mots et des discours qui prétendent en rendre compte. Ainsi, dans le chapitre 8, "Sous l’orientation, la sélection", il s’appuie sur un rapport du Conseil national d’évaluation qui conclut qu’ "une longue chaîne de processus inégalitaires a rendu l’école française ultra-reproductrice" (p. 132-133), bien loin des déclarations sur "l’égalité des chances" ou "l’École de la réussite pour tous".
"De telles contradictions nous ramènent certes à la complexité, mais en nous aidant là aussi à l’appréhender. Programmes, relations, méthodes, évaluation, sélection : tout peut inciter ou au contraire dissuader les enseignants de s’engager dans un rapport tantôt angélique, cynique ou simplement lucide à la réalité" (p. 133). En sachant aussi que "un idéal peut se fourvoyer de deux façons : en prenant la réalité pour une fatalité ou en s’en désarrimant pour rêver" (p. 135).
A la fin de son avant-dernier chapitre, "Une gouvernance tâtonnante", l’auteur invite clairement enseignants et éducateurs à choisir entre le rêve et l’action ici et maintenant : "Nous, gens d’école, pouvons rêver d’un "vivre ensemble" conciliant intelligence et vitalité. Mais comment croire qu’un tel rêve suffira à séduire ceux qu’il fait plutôt rire ou trembler ? Le plus réaliste serait de persévérer, donc de faire des contradictions des raisons d’espérer." (p. 150).
Et quand, à la fin de l’entretien qu’il a accordé aux Cahiers pédagogiques n° 556 de novembre 2019, p. 71), son interlocuteur lui demande : "Si, comme dans les contes, vous aviez trois souhaits pour que l’école réponde au mieux aux défis des temps présents, quels seraient-ils ?", Olivier Maulini répond : "Le premier serait de renoncer aux contes. Le deuxième, de préférer les comptes : à rendre et à réclamer. D’où le troisième : plus se battre, moins rêver".
A la MPM aussi, on est « entre engagement et lucidité »…
… quand, à l’issue de l’Assemblée générale du 20 novembre dernier, nous faisons les « comptes », ou plutôt le décompte du nombre d’adhérents et des forces vives, c’est-à-dire quand nous essayons d’évaluer aussi lucidement que possible de mener à bien nos projets et de respecter nos engagements associatifs.
Mais ce sont surtout les « rencontres avec les grands pédagogues » qui sont une bonne occasion de vérifier la pertinence du titre de l’ouvrage qui sert de fil rouge à ce billet.
Lors de la rencontre avec Ovide Decroly, le 18 novembre, les échanges entre la douzaine de participants ont démarré doucement à la suite de la projection du petit documentaire réalisé par Philippe Meirieu sur le grand pédagogue belge, l’une des figures de proue de l’Education nouvelle, au début du XXe siècle. Il y fut d’abord question des deux axes forts de sa pédagogie : la prise en compte des centres d’intérêt des élèves et la démarche globale d’apprentissage dans une école dont la devise était "Pour la vie et par la vie".
Puis, assez rapidement, les participants se sont emparés de ces deux notions pour les rapporter à leurs pratiques et prendre la mesure des décalages entre les piliers de la pédagogie de Decroly et la leur, mais aussi entre leurs souhaits, leurs valeurs éducatives et la façon de les vivre sur leur terrain professionnel. Et c’est là où l’extrême diversité des acteurs et des lieux d’intervention est devenue une réelle richesse : la confrontation (pacifique et courtoise) des expériences et des points de vue a permis de mettre cette recherche de cohérence "entre engagement et lucidité" à l’épreuve des situations fort différentes des uns et des autres.
Impossible d’en rester là à la fin de la séance, à des constats encore superficiels et à des déclarations de principe : le groupe a décidé de se retrouver le lundi 16 décembre pour continuer à échanger sur ce qui est au cœur des préoccupations et des interrogations des enseignants, des éducateurs, des formateurs.
PS : bientôt les fêtes de fin d'année : le moment d'offrir ou de se faire offrir l'ouvrage d'Olivier Maulini et de le lire entre deux réveillons. Puis de venir en discuter à la MPM.
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