La MPM avec

L'école produit-elle des citoyens ?

 

Quelle place pour le débat à l'école ?

 

Rencontre-débat Télécharger le document sur la conférence débat

Le mardi 22 mars de 18 h 30 à 20 h 30 au Lycée Roosevelt à Mulhouse (parking place du marché)

Cela n’a échappé à personne : depuis le début de la campagne électorale pour l’élection présidentielle d’avril prochain, l’école est l’une des grandes absentes du débat public.

Et si, justement, on interrogeait la capacité de l’école à former des citoyens ? La question est d’autant plus pertinente que la France est le pays européen qui consacre le plus de temps à l’éducation civique de ses élèves (Eurydice, 2012). Or, un bilan mitigé des effets des politiques engagées est dressé (Bozec, 2016).

Entre prescriptions et réalités de terrain, la Maison de la Pédagogie de Mulhouse se propose de contribuer à la réflexion en vous invitant à une soirée innovante et inspirante autour d’un réel débat démocratique.

La première partie de la soirée mobilisera des intervenants issus de divers horizons :  pédagogue, chercheur, élève, journaliste. Il s’agira de confronter sans concession aucune leurs témoignages et points de vue sur les effets de l’école sur la formation à la citoyenneté des élèves. Dans un second temps, à partir de l’expérience vécue en direct, Jean Luc Denny, Maître de conférences en Sciences de l’éducation, ouvrira la discussion sur le débat comme pratique pédagogique : en quoi il contribue ou contrarie la formation des futurs citoyens. Il apportera également son éclairage à partir de ses travaux de recherche.

 

L'intervenant : Jean-Luc DENNY

Il introduira cette réflexion avec un triple positionnement : à la fois en tant que professionnel CPE (Conseiller principal d’éducation), formateur d’adultes à l’université de Strasbourg et chercheur en Sciences de l’éducation et de la formation. Il est l'auteur d’une thèse de doctorat récente sur L’expérience des normes pour débattre en classe : vers un développement professionnel des enseignants (consultable en ligne ainsi que la présentation vidéo)

 Repères bibliographiques

  • Fabre, M. (2011). Eduquer pour un monde problématique : La carte et la boussole. Presses universitaires de France
  • Denny, J.-L. (2017). La parole de l’élève et les espaces informels. Les Cahiers pédagogiques, 538, 22-24.
  • Denny, J.-L., & Flavier, E. (2019). La professionnalité enseignante dans le débat en classe : Une étude de cas en EMC pour faire émerger le milieu de vie de l’élève. Éducation et socialisation. Les Cahiers du CERFEE, 53https://doi.org/10.4000/edso.6913
  • Eveleigh, E., & Tozzi, M. (2020). Pourquoi « débattre en classe » ?Les cahiers pédagogiques : Paris
  • M. (2012). Nouvelles pratiques philosophiques : À l’école et dans la cité. Chronique Sociale.

 

Trace de la rencontre

 

L’école produit-elle des citoyens ?

Quelle place pour le débat à l’école dans l’éducation à la citoyenneté ?

Avec Jean-Luc DENNY, Maître de Conférences en sciences de l’Éducation et de la formation à l’Université de Strasbourg.

 

 

Ȧ propos de cette soirée, on devrait plutôt parler de « débat-rencontre » puisque, par souci de cohérence avec le sujet, elle a commencé par un débat autour de la question-titre : « L’école produit-elle des citoyens ? »

Débat introductif

Il a réuni une journaliste, un proviseur à la retraite, une professeure de lettres en lycée, un élève membre du CVL (Comité de la vie lycéenne) de son établissement et du CAVL (Comité académique de la vie lycéenne). Un débat animé par Nicole Poteaux, membre du Comité d’animation de la MPM.

Un premier tour de parole a permis à chaque participant de dire quels mots il associe à celui de citoyen :

  • les droits et les devoirs, la Déclaration des Droits de l’Homme, l’exercice d’une fonction publique, au premier rang desquelles l’exercice du droit de vote ;
  • à l’école, le respect du règlement et la participation à la vie de l’établissement ;
  • électeur ;
  • devenir adulte, savoir parler, débattre, argumenter.

Puis les échanges se sont centrés sur le rôle de l’école dans l’éducation à la citoyenneté à partir des appréciations portées sur les élections des délégués des élèves :

  • s’agit-il d’une véritable expérience de la citoyenneté ou d’un exercice scolaire ?
  • dans le cadre du CVL, être délégué permet de prendre la parole, de prendre des initiatives.

De rebonds en enchaînements, les échanges se sont poursuivis pendant près de trois quarts d’heure, tantôt sous forme de constats, tantôt sous forme d’interrogations…

  • hors du CVL, les occasions, les possibilités de prendre la parole dépendent du rôle facilitateur – ou non - du prof, de la classe, de l’établissement ;
  • on souligne aussi le poids des contraintes liées aux effectifs, aux programmes ;
  • on revient sur l’intitulé de la question initiale : l’école a-t-elle pour mission de « produire » des citoyens ou de permettre aux élèves de découvrir ce que veut dire être citoyen ?
  • l’éducation à la citoyenneté ne se limite pas aux seuls heures en d’EMC (Education morale et civique) ; elle est aussi l’affaire des disciplines, et pas seulement de l’histoire ;
  • l’éducation à la citoyenneté est acceptation de la complexité et de la controverse ;
  • elle prend aussi place  en dehors du lycée, entre camarades.
  • animer un débat ne va pas de soi ; cela passe par la formation des enseignants
  • l’interdisciplinarité et les projets tiennent une place importante dans l’éducation à la citoyenneté.
  • le débat a-t-il pour objectif prioritaire de convaincre l’autre ? ou d’ouvrir à la contradiction ?
  • débattre suppose de savoir communiquer, discuter, négocier ;
  • la prise d’initiative est-elle valorisée à l’école  ;
  • l’éducation à la citoyenneté vise-t-elle à apprendre à la fois respecter l’ordre établi... et à le contester ?
  • conclusion : l’école contribue-t-elle à former des citoyens ?
    • un peu
    • oui, forcément
    • certains établissements, beaucoup ;, d’autres, pas du tout.
  • des préconisations ?
    • faire intervenir les médias, des personnes extérieures ;
    • faire confiance aux profs ;
    • développer les démarche de projets, le travail en équipes soudées autour de valeurs communes clairement annoncées.

Une intervention complémentaire précise que, aujourd’hui, l’éducation à la citoyenneté se heurte de plus en plus à des valeurs religieuses ; les valeurs de la République ne sont plus forcément partagées par tous.

Une autre souligne le manque de temps pour déconstruire les croyances sur de nombreux sujets de cours et s’inscrire dans une démarche d’éducation à la citoyenneté. Une question du temps qui renvoie à celle des injonctions de l’institution auxquelles les personnels doivent répondre.

Une question sur les raisons de l’engagement de certains élèves permet à Jean-Luc Denny de prendre le relais  pour évoquer le rôle de l’environnement familial, sans oublier le poids de la rencontre.

Dans la foulée, il évoque la question qui a été à l’origine de son travail de thèse : en tant que CPE, il s’est souvent demandé « Qu’avons-nous fait du génie des élèves brillants dans un dispositif comme le CVL qui deviennent de plus en plus éteints en dehors de cette instance ? ? Qu’avons-nous fait de leur parole ? »

Le débat sur le débat

Qu’est-ce qui fait que ce débat était effectivement un débat ?

  • un partage de points de vue exprimés en fonction de la place de chaque intervenant ;
  • la posture de l’animatrice, à la fois présente et en retrait ;
  • la mobilisation de leur expérience par les intervenants ;
  • l’écoute, le respect de la parole de l’autre.

Jean-Luc Denny invite ensuite l’ensemble des participants à visualiser un extrait d’un enregistrement vidéo réalisé dans le cadre de sa recherche : dans une classe e 6e, un débat sur un conflit entre élèves suivi d’échanges sur la notion de discrimination.

La discussion qui suit met en évidence les  points suivants:

  • il s’agissait d’un cours dialogué plus que d’un débat
  • la disposition des élèves n’était pas propice aux échanges entre eux (certains se tournaient le dos) ;
  • il est important de partir du vécu des élèves.

Mais quel apport pour les élèves en termes d’émancipation ?

Dans le 2nd extrait vidéo, l’enseignante et ses collègues font retour sur la séance avec les élèves. Ils reviennent sur la reformulation effectuée par l’enseignante à la suite des échanges avec les élèves. En reformulant, la prof est partie du vécu de l’élève pour faire cours et transmettre des savoirs.

Mais quel intérêt de la reformulation pour les élèves ?

La parole du prof légitime le discours des élèves… et les élèves attendent.

Les élèves ont donné leur point de vue... et puis attendent que le prof reprennent la parole pour faire la synthèse.

Qu’est-ce que cette façon de faire produit sur les élèves ?

Que va-t-il rester chez ces élèves en quittant la salle ?

Et Jean-luc Denny poursuit : « La parole de l’élève ne peut pas être un matériau comme un autre. On ne sait pas trop quoi faire de la parole des élèves ; c’est un prétexte pour faire cours. C’est censé les intéresser davantage, mais ça ne marche pas ».

JL Denny fait alors le parallèle avec le pédagogue brésilien Paulo Freire et sa pédagogie de l’alphabétisation : Il ne suffit pas de faire parler les apprenants pour qu’ils soient motivés et qu’ils apprennent. Il faut aller sur leur environnement de vie. Pas seulement pour collecter des mots, mais pour chercher ce qui fait valeur pour les personnes dans leur environnement de vie… C’est seulement ensuite qu’on arrive à développer les apprentissages.

La pratique du  débat à l’école dans une perspective d’éducation à la citoyenneté

Transposer cette démarche dans le débat en classe, c’est chercher ce qui fait valeur pour les élèves dans ce qui est dit. C’est ce qui va faire la différence entre un débat dans un cadre scolaire (qui produit des savoirs scolaires) et un débat qui produit du développement moral parce que ce qui est en jeu c’est de savoir ce qui est important pour les élèves dans ce qui se dit.

Ȧ partir de là, J-L Denny et 3 collègues ont inventé un modèle de débat qui repose sur le protocole d’alphabétisation de Paulo Freire, et dont les étapes sont les suivantes :

  • les élèves choisissent et présentent une situation dans laquelle ils ont rencontré  des difficultés ou ont eu à prendre une décision (c’est-à-dire une situation qui a de la valeur pour celui qui l’a vécue) ;
  • on retient collectivement une situation qui fait valeur pour la majorité des élèves ;
  • le débat pour le choix de la situation permet déjà de régler une partie des problèmes évoqués tout en canalisant l’énergie et l’attention des élèves ;
  • on demande aux élèves de faire un croquis de la situation (pour éviter de partir sur la conceptualisation, sur l’analyse par le prof) pour décrire, raconter la situation le plus précisément possible ;
  • et le débat part dans tous les sens, avec retours au schéma de la situation.

Il y a dans toute cette démarche des « obstacles de professionnalité » pour les enseignants : faire débattre les élèves requiert des gestes qui sont contre-intuitifs d’un point de vue professionnel  : « quand je transmets les valeurs de la République comme je transmets des savoirs, je produis l’inverse du développement moral car les élèves remplissent leur métier d’élève et ça ne produit pas de transformation , ça ne change pas le point de vue des élèves ».

Dans un débat, le prof doit adopter une posture de non-sachant et accepter d’apprendre des élèves, accepter que ceux-ci contestent les valeurs de la République.

Débattre à partir du milieu de vie des élèves nécessite donc, de changer les manières de faire :

  • poser des questions dérangeantes ;
  • poser des questions de type anthropologique ;
  • éviter les jugements normatifs, les injonctions ;
  • faire émerger des points de controverse avec d’autres élèves ;
  • changer les manières d’être, faire preuve de curiosité ;
  • changer les manières de penser : c’est quoi un vécu démocratique, faire vivre les valeurs de la République ?

Faire en sorte que les valeurs de la République aient de la valeur pour les élèves suppose un cheminement qui a un coût.

Pour un enseignant, transmettre les valeurs de la République est une pratique contre-intuitive, un changement de posture d’un point de vue professionnel et nécessite des gestes professionnels qui vont à l’’encontre des normes du métier. Si je transmets les valeurs de la République comme je transmets les savoirs, je forme l’inverse de ce que l’institution me demande, à l’inverse des intentions qui sont les miennes.


 

Animer un débat, c’est…

  • développer un rapport polémique aux valeurs de la République ;
  • tenir ensemble les valeurs, les savoirs et l’expérience des élèves ;
  • sortir du cadre injonctif et normatif de l’institution pour laisser faire les enseignants, leur permettre de développer leur pouvoir d’agir et leurs compétences.

Jean-Pierre Bourreau - membre du Comité d'animation de la MPM

 

Pour prolonger

Jean-Luc Denny est l'auteur d’une thèse de doctorat récente sur L’expérience des normes pour débattre en classe : vers un développement professionnel des enseignants (consultable en ligne ainsi que la présentation vidéo)

  • Fabre, M. (2011). Éduquer pour un monde problématique : La carte et la boussole. Presses universitaires de France
  • Denny, J.-L. (2017). La parole de l’élève et les espaces informels. Les Cahiers pédagogiques, 538, 22-24.
  • Denny, J.-L., & Flavier, E. (2019). La professionnalité́ enseignante dans le débat en classe : une étude de cas en EMC pour faire émerger le milieu de vie de l’élève. Éducation et socialisation. Les Cahiers du CERFEE, 53. https://doi.org/10.4000/edso.6913
  • Eveleigh, E., & Tozzi, M. (2020). Pourquoi « débattre en classe » ? Revue Les Cahiers Pédagogiques : Paris
  • Tozzi. M. (2012). Nouvelles pratiques philosophiques : À l’école et dans la cité. Chronique Sociale.