Oui ! Nous avons transformé nos pratiques pédagogiques au lycée
Rencontre
mardi 4 décembre 2018 à 18 h 30 au Carré des Associations à Mulhouse
Des APE qui transforment les pratiques
C’est l’histoire d’une équipe d’enseignant.e.s du lycée Koeberlé de Sélestat qui se trouvèrent fort démunis devant l’injonction de mettre en place des cours d’accompagnement au projet de l’élève (APE). Ce thème leur tenant à cœur, ils se sont tournés vers l’université pour trouver des partenaires expérimentés dans le domaine. De cette rencontre est né un partenariat fécond, qui, au fil des années (2012-2018), a déclenché une transformation de leurs pratiques pédagogiques toutes disciplines confondues. Partie d’un accompagnement à la création de modules d’APE, l’équipe est arrivée à constituer une classe expérimentale où règnent la confiance et la bienveillance et dans laquelle élèves et enseignants travaillent dans le respect mutuel. À suivre…
Animation
Cette aventure sera racontée par Michel Courtehoute. Enseignant de physique-chimie au lycée Koeberlé de Sélestat, il a exercé dans différents collèges dont certains, difficiles, en lycée professionnel et en lycée technique industriel. Il est, depuis juin 2011, un des animateurs du partenariat entre le lycée Koeberlé et la faculté de psychologie de Strasbourg.
Dans l’exercice de son métier, ses centres d’intérêt peuvent s’illustrer par les deux questions suivantes :
- quels sont les connaissances, les savoir-faire, les pratiques et les postures qui favorisent, de façon concrète, l’apprentissage des élèves ?
- quels sont les facteurs, les mécanismes "déclenchants" qui permettent à l’élève de devenir le réel acteur aussi bien de ses apprentissages que de son projet de formation ?
Avec la participation de Nicole Poteaux, Professeur émérite de Sciences de l'éducation à l'université de Strasbourg et membre du Comité d'Animation de la MPM.
Repères bibliographiques
- Viau, R. (1994). La motivation en contexte scolaire. Bruxelles : De Boeck Université, 221 pages.
- Louvet, E., & Duret, Y. (2017). Choix d’orientation au lycée, motivation et parcours scolaires : une étude longitudinale. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 46, 261-282
Le compte rendu
"Oui ! Nous avons transformé nos pratiques pédagogiques au lycée"
C’est l’histoire d’une équipe d’enseignant.e.s du lycée Koeberlé de Sélestat qui se trouvèrent fort démunis devant l’injonction de mettre en place des cours d’accompagnement au projet de l’élève (APE). Ce thème leur tenant à cœur, ils se sont tournés vers l’université pour trouver des partenaires expérimentés dans le domaine. De cette rencontre est né un partenariat fécond, qui, au fil des années (2012-2018), a déclenché une transformation de leurs pratiques pédagogiques toutes disciplines confondues. Partie d’un accompagnement à la création de modules d’APE, l’équipe est arrivée à constituer une classe expérimentale où règnent la confiance et la bienveillance et dans laquelle élèves et enseignants travaillent dans le respect mutuel.
C'est cette histoire qu'ont racontée deux membres de l'équipe, Michel Courtehoute et Tiphaine Logel, lors d'une rencontre interactive très vivante avec des échanges de plus en plus nombreux entre intervenants et participants. La soirée a débuté avec un photolangage, comme lors de la première séance avec les élèves de 2nde afin de leur permettre de faire part de leur ressenti à leur arrivée au lycée.
Prologue: la demande institutionnelle
Tout commence en 2010, avec l'instauration de l'Accompagnement personnalisé de l'élève (AP) au lycée, à raison de 24 heures par année. Mais aucune formation n'est prévue pour les enseignants et il n'existe quasiment aucune ressource sur le site ministériel.
Une équipe d'enseignants se pose la question de la formation pour accompagner les élèves. En mars 2011, des contacts sont pris avec des universitaires de Strasbourg. L'idée est de travailler avec des experts pour arrêter de chercher des ressources au sein de l'Education nationale. Une année de réflexions et d'échanges permet de faire connaissance et de savoir comment organiser la formation avec les enseignants-chercheurs de l'université.
Acte 1 : Formation à l'AP
À la rentrée de septembre 2012, le partenariat prend effet entre le lycée Koeberlé et l'Unistra, afin de solliciter les compétences du Laboratoire de Psychologie des Cognitions en matière de psychologie des apprentissages et l'expérience de la Faculté de psychologie dans la construction pédagogique de séquences d'accompagnement du projet.
Les enseignants, soutenus par le proviseur, disposent d'un créneau hebdomadaire d'une heure pour se retrouver et discuter ensemble et accueillir les collègues intéressés. "Tout est basé sur le volontariat, car "si on met des objectifs trop forts en place, les gens se démobilisent".
Pour les enseignants, l'objectif de l'AP est de permettre aux élèves de mieux se connaître au niveau de la personnalité pour mieux s'orienter.
En 2012-2013 et 2013-2014, une quinzaine d'enseignants se sont impliqués et sont accompagnés, dans le cadre de FIL (Formation d'initiative locale) par des universitaires dans la conception de séquences pédagogiques à mettre en œuvre et utiles pour les élèves sans le cadre de l'AP.
Ces séquences ont d'abord été vécues par les enseignants eux-mêmes, selon des modalités qui n'ont rien à voir avec celles de la formation "classique". D'une très grande précision, elles ont ensuite été testées auprès des élèves. Les constatations ont donné lieu à des échanges nourris entre enseignants dans les réunions hebdomadaires
A la suite du bilan de fin de formation, la question a été posée : qui se sent prêt à se lancer dans l'AP ? En septembre 2014, 6 enseignants sont partants pour utiliser les séquences "millimètrées", "chronométrées" précédemment élaborées.
Acte 2 : Mise en œuvre de l'AP
En mai 2014, un premier bilan est effectué après les expérimentations conduites par les enseignants avec les élèves. Celui-ci met en évidence l'Importance du climat de confiance qui a régné dans l'équipe et qui a permis l'émergence d'une parole de plus en plus libre chez les participants : "On peut parler pédagogie, d'un sujet toutes disciplines confondues, à tel point qu'on ne sait plus quelle discipline l'autre enseigne" : les séances d'accompagnement qui sont complètement détachées de la discipline ont contribué considérablement à cette prise de conscience". "Des enseignants ont déclaré : Je ne pourrai jamais plus enseigner de la même façon qu'avant ; ma posture n'est plus la même".
Cette mise en mouvement au sein d'un groupe dans lequel régnait la confiance a été rendue possible par les personnes qui ont accompagné l'équipe selon la modalité du "Learning by doing" de John Dewey : "on fait d'abord, on cause après", comme le rappelle Nicole POTEAUX, l'une des quatre universitaires (et membre du comité d'animation de la MPM).
On retrouve cette posture d'accompagnement chez les enseignants dans leur pratique de l'AP avec leurs élèves ; c'est ce qu'on appelle une relation d'isomorphisme avec des demi-classes.
À la fin de cet acte 2, les enseignants ont eu le souci de ne pas se contenter de se dire que c'est beau de pratiquer ainsi l'AP : ils ont demandé que les retombées pour les élèves en soient évaluées dans les domaines suivants : la confiance en soi, l'estime de soi, le stress, le sentiment d'auto-efficacité, la projection sur l'avenir (dans 5-10 ans), les vœux d'orientation (choisis ou subis). L'administration du lycée a joué un rôle important dans la mise en place de cette évaluation (fourniture des bases de données, entrée des résultats des tests). Les résultats les plus nettement positifs concernent les élèves des classes dans lesquelles trois enseignants interviennent en AP.
Tiphaine a été alors l'une des premières à dire : "C'est bien gentil tout ce qu'on fait, ça m'intéresse, mais ça ne me suffit pas ; les séances d'AP, c'est une fois par semaine et j'ai envie de pouvoir adapter cette façon, cette posture différente dans mes cours de français". Pour elle, la pratique de l'AP a débouché sur une transformation radicale de sa façon d'enseigner.
Michel insiste sur le rôle déterminant du phénomène d'habituation chez les enseignants qui, dès mai 2014, suggéraient : "Il faut qu'on fasse une classe où on ait cette posture-là dans les enseignements pour qu'il y ait un impact plus fort sur les élèves". Deux années ont été nécessaires pour constituer l'équipe de volontaires pour qu’ils se sentent "prêts".
Acte 3 : la classe Viau : "Apprendre autrement"
En septembre 2016, la classe Viau est ouverte. C'est une classe réputée difficile avec 8 enseignants sur 12 issus de l'équipe AP : un cours sur 4 ou 5 est différent, dans le même esprit que l'AP.
Rolland Viau est un enseignant-chercheur canadien, auteur de "La motivation en contexte scolaire". Tiphaine s’appuie sur trois principes définis dans cet ouvrage qui favorisent, stimulent l’activité :
- l'élève connaît les objectifs de la séance ;
- il se sent capable de faire l'activité proposée ;
- il est capable de la contrôler.
Le tout en ayant toujours en tête l'évaluation, et en variant les activités (y compris par des jeux).
Ces 2 dernières années, l'accent a été mis sur :
- la préparation "millimétrée" des séquences ;
- la qualité de la relation : à ce propos, on évoque la théorie de l'attachement (selon laquelle, par exemple, un bébé qui n'est pas en relation avec un être humain de confiance ne peut pas s'intéresser au monde, à ce qui l'entoure).
Au bout des 2 ans, le plus important, c'est la confiance : "Passer de la défiance à la confiance". Surtout la confiance dans la classe et dans l'enseignant ; sans oublier la confiance dans la discipline ; faire en sorte que "la discipline devient accessible à l'élève".
En classe, il y a des séances ou des phases dans une séance où le professeur s'efface le plus possible (ce qui ne lui est pas toujours facile), mais il est présent. Il importe en effet de laisser se vivre les interactions spontanées entre les élèves. Ce qui a pour effet de favoriser une évolution dans la façon de formuler les points de vue : de l'affirmation péremptoire à l'introduction du doute du questionnement, de la remise en question de ses représentations et de l’accueil d’un nouveau concept et de nouvelles idées, de nouvelles connaissances.
Les tests les plus récents montrent que ce sont les élèves les plus fragiles ou en difficulté qui tirent le plus profit de la classe Viau. La confiance en soi progresse nettement chez les élèves de milieux défavorisés, avec des retombées positives sur les vœux d'orientation (en précisant qu'au lycée Koeberlé, on parle de "projet de l'élève" et non d'orientation). Les effets sont négligeables pour les élèves réputés "bons". Ce qui ne manque pas d'interroger l'équipe des enseignants.
Aujourd'hui, les enseignants éprouvent le besoin de connaître les principes pédagogiques qui sont les leurs en tant que notions d'ordre théorico-pratique. Car "connaître ces principes pédagogiques donne des cotes pour préparer des cours ou des activités".
Les principes mis en œuvre dans la classe (liste non exhaustive) :
- la bienveillance, principe de base ;
- la mobilisation de l'esprit et des connaissances en début de séance ;
- les bilans et enseignements en fin de séance ;
- la mise des élèves en action (seuls ou avec les autres), en s'assurant que l'élève apprenne vraiment ;
- la communication entre les élèves ;
- la réflexivité ;
- l'erreur comme étape constitutive de l'apprentissage ;
- le travail sur les mécanismes de la mémorisation ;
- la structuration des connaissances à partir des compétences ;
- le travail de l'élève dans le cadre de sa zone proximale de développement : "on ne peut apprendre que quelque chose qui est proche de nos acquis, de notre existant" (c'est la même chose pour les enseignants).
(Pour une liste plus détaillée voir l’annexe jointe )
Les échanges permettent encore de souligner l'importance de la qualité de l'activité proposée car la mobilisation de l'élève est fonction de la valeur qu'il attribue à la tâche ; il faut donc qu'elle soit de qualité et qu'elle fasse sens pour lui (on évoque à ce propos le manque de valeur de certaines tâches en LP).
Il a aussi été question de la "résignation acquise" pour les élèves (comme forme de décrochage passif) et du changement d'image du prof pour les élèves : c'est quelqu'un qui tâtonne et qui peut se tromper mais en qui on a confiance, qui sait nous favoriser, nous encourager, une personne que l’on peut solliciter sans gêne et qui nous apportera l’élément permettant de poursuivre et d’aller plus loin (on revient à un pilier de l’enseignement et de la motivation selon Viau : à la qualité de la relation).
Et puis cette belle définition de l'accompagnement : Accompagner, c'est être là, sans faire à la place des autres ; mais rien ne se ferait sans cette présence.
À suivre
Aujourd'hui, l'équipe compte 25 enseignants (impliqués à des degrés très variables), 2 psy EN, la documentaliste et 4 universitaires. La cohabitation avec les autres enseignants pose parfois problème. Le groupe ne se met pas en avant dans le lycée.
En janvier 2019, une nouvelle FIL est programmée pour élaborer de nouvelles séquences AP.
Les perspectives de l'équipe de la classe Viau :
- le développement des compétences psychosociales des élèves ;
- le développement de la métacognition et des stratégies d'apprentissage (qui ne se limitent pas à des "méthodes de travail").
Deux paroles d'élèves pour terminer (provisoirement) :
"J'ai appris une chose dont j'avais absolument pas pris conscience : c'est comme si, dans ma personnalité, j'avais des curseurs et j'étais capable de jouer sur ces curseurs, faire monter les choses qui sont favorables et amoindrir les choses qui sont désagréables". (Un élève de Michel, lors d'un bilan à la fin de la 3e séance AP)
"Mme L, elle est au-dessus de nous, mais elle est avec nous" (Une élève de 1ère de Tiphaine).
NB du greffier de la séance : le mot "innovation" n'a jamais été prononcé de toute la rencontre.
Jean-Pierre Bourreau – Décembre 2018
(texte relu par Michel Courtehoutte
Document : Les principes pédagogiques mis en oeuvre dans la classe Viau