À la rencontre des grands pédagogues : Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827)

 

 

Rencontre

lundi 27 septembre 2021, de 18 h 30 à 20 h 30 à distance

 

Animation

Rencontre animée à distance par Jean-Pierre Bourreau (MPM) et Tina Steltzlen (Le Rezo !)

 

Trace rédigée par Jean-Marie NOTTER

 

Dix personnes participent à cette rencontre. Cinq personnes sont excusées.

Le visionnement du film proposé par Philippe Meirieu : « Que faire des enfants qui ne veulent pas de nous ? » ouvre nos échanges sur Johann Heinrich Pestalozzi. Ils s’articuleront autour de deux axes : Pestalozzi, le grand pédagogue, puis, les résonances de ses apports pour Philippe Méirieu et pour nous-mêmes au travers de nos pratiques.

Le documentaire de Meirieu porte essentiellement sur une période très brève de la vie de Pestalozzi ; il ne dit rien de son enfance difficile et de son existence très mouvementée.

L’accent est mis sur l’hétérogénéité du groupe avec lequel travaille Pestalozzi, une démarche en rupture avec la quasi disparition actuelle de la classe unique et les regroupements par niveau favorisés par les communautés de communes. C’est une société éducative, fondée sur la mixité et l’accueil d’enfants d’origines, de cultures et d’âges différents. Pestalozzi s’appuie sur cette hétérogénéité, sur la multiplicité des cultures et des questionnements des enfants pour élaborer une culture scolaire.

On observe aussi que Pestalozzi travaille dans un orphelinat, ce qui apparente sa démarche à celle d’autres « grands pédagogues » comme Korczak, Robin ou Decroly qui se sont tournés vers des élèves qui échappent à la norme scolaire. A travers leurs expériences, il semblerait que la pédagogie s’invente avec des publics qui échappent à la norme scolaire.

La relation de Pestalozzi avec les enfants déborde le cadre scolaire dans les rapports qu’il entretient avec eux, dans le temps comme dans l’espace. Il vit au plus proche d’eux, créé un cadre affectif qui favorise leur disponibilité intellectuelle afin de susciter l’envie d’apprendre en les apprivoisant, en gagnant leur confiance. Par ailleurs, il ne néglige pas le rôle de la société des parents qui constitue un premier filtre dans la démarche d’apprentissage.

Il faut aussi souligner l’importance du travail manuel dans l’éducation. On rappelle à cet égard que Pestalozzi a géré une exploitation agricole dans laquelle il faisait travailler des enfants. Après l’échec de cette première expérience, il s’est tourné vers une activité de tissage à laquelle il a également associé des enfants. Dans un ouvrage collectif intitulé « Relions-nous » (« La constitution des liens – L’an 01 » ; Les Liens qui Libèrent) on trouve un chapitre dans lequel Philippe Meirieu revient sur l’intérêt du travail manuel.

De même, dans sa « Lettre de Stans », Pestalozzi écrit : « Cette foule d’enfants peut être instruite en beaucoup de choses en même temps qu’ils travaillent et parce qu’ils travaillent. Créer, grâce à la diversité des enfants une véritable société éducative, tel est l’enjeu de l’expérience de Stans ».

Pour pallier le constat que le film apporte finalement peu d’informations sur Pestalozzi et sa pédagogie, il est rappelé quelques principes issus d’autres sources :

  • présenter l’aspect concret avant d’introduire les concepts abstraits
  • commencer par l’environnement proche avant de s’occuper de ce qui est distant
  • faire précéder d’exercices simples les exercices compliqués
  • procéder graduellement et lentement

Et aussi trois directions et trois verbes :

  • la tête, le cœur et la main
  • connaître, vouloir, apprendre

On souligne enfin le rôle joué par le contexte historique, celui du Siècle des Lumières, de la Révolution Française - inspiratrice d’une éducation laïque et universaliste – et, surtout, de Jean-Jacques Rousseau dont Pestalozzi a largement suivi les préceptes énoncés dans l’ « Emile ».

Nous abordons ensuite la deuxième partie de nos échanges, davantage consacrée aux répercussions que peuvent avoir les enseignements de Pestalozzi sur les pratiques éducatives actuelles, en rappelant le titre donné par Philippe Mérieu à son document : « Que faire des enfants qui ne veulent pas de nous ? »

Cette interrogation en suscite une autre : « Que faire devant l’hétérogénéité avec de grands enfants (des adultes) dans des formations pas forcément désirées ? », en particulier lors de changements de profession.

La question ne trouve pas d’écho direct mais inspire une réflexion sur l’importance de l’intégration de l’enseignant, du formateur, au milieu dans lequel vivent ceux dont ils ont la charge. Beaucoup d’enseignants ne vivent pas au sein de leur lieu de travail.

On rappelle l’influence de Pestalozzi sur Célestin Freinet et le courant de la pédagogie sociale, en particulier lorsqu’il est question de mettre le travail au centre de la pédagogie. Un travail et les outils qui lui sont associés peuvent permettre à des élèves démolis par certains maîtres de retrouver une existence pour ensuite apprendre à écrire, lire et apprendre les fondamentaux. Cette affirmation s’applique plus facilement à l’école primaire qu’au collège ou au lycée où s’exercent les freins du cloisonnement.

Une autre démonstration du rôle du travail dans l’éducation peut être observée dans les réseaux de savoir où la liberté des échanges peut fournir des appuis puisés hors des apprentissages formels.

Une participante nous lit un passage du chapitre consacré à Pestalozzi dans « Les grandes figures de la pédagogie », de Augustin Mutuale et Gabrièle Weigand, collection : « Pédagogie et sciences humaines ». Le chapitre compte 17 pages ; il est introduit par un extrait de la « Prière aux amis et bienfaiteurs de l’humanité », rédigée par Pestalozzi : « C’est pour moi un fait d’expérience que des enfants qui ont perdu la santé, les forces et le courage dans une vie de fainéantise et de mendicité, dès qu’ils sont soumis à un travail régulier, retrouvent promptement leur gaieté, leur entrain, leur bonne mine, et se développent d’une manière étonnante, par le seul changement de leur situation : à l’abri des circonstances qui les avaient dépravés. C’est pour moi un fait d’expérience que, de l’abjection de la plus profonde misère, ils s’élèvent très vite à des sentiments d’humanité, de confiance et de bienveillance ; que l’affection témoignée à l’être le plus dégradé l’élève à une vie supérieure, et que les yeux de l’enfant abandonné brillent d’un étonnement joyeux et reconnaissant, lorsqu’après des années de misère une main douce et amicale s’offre à lui pour le guider. »

Nous pouvons trouver dans ces lignes la confirmation que le travail manuel peut constituer un moyen de lutte contre l’échec scolaire en redonnant confiance à ceux qui « viennent à l’école en reculant ».

On observe aussi qu’il existe des situations où les difficultés peuvent être des moteurs … à condition de savoir comment avancer.

Nous accueillons ensuite le témoignage d’une participante qui a voulu se rapprocher d’un collégien d’origine turque en apprenant quelques mots de cette langue pour engager un échange avec l’intéressé. À cette occasion, elle a pu constater que ce dernier ne pratiquait pas mieux sa langue d’origine que le français.

Mais, surtout, elle a observé un changement dans le regard que les élèves posaient sur elle devant son intérêt pour une langue étrangère.

Nous revenons sur la thématique rencontrée lors de notre débat avec Benoît Falaize : comment transformer la différence en potentiel ? C’est l’occasion de rappeler que l’hétérogénéité n’est riche que si on sait en faire un milieu porteur. Elle ne constitue pas une valeur en soi.

Nos échanges s’achèvent sur le rôle de la règle qui protège, qui interdit et qui autorise.