Billet MPM de mai 2024
Quand la Maison de la Pédagogie de Mulhouse interroge
la "forme scolaire" d'éducation et d'apprentissage
De la maternelle au lycée, la classe est la cellule de base de l’organisation de notre système scolaire sur le terrain. Comme nous l’a rappelé Nicole Poteaux en introduction de la Rencontre-débat qui s’est tenue au collège de Bourtzwiller, le 3 avril dernier, c’est à la loi Guizot de 1833 que nous devons cette conception de la classe comme mode de regroupement des élèves en fonction de l’âge et de la proximité géographique. Aujourd’hui, au collège et au lycée, elle est l’un des 4 piliers de l’organisation des enseignements : UNE classe, UNE heure de cours, UN(E) enseignant(e), UNE discipline scolaire.
C’est ce mode d’organisation de l’apprentissage à l’école et de l’enseignement simultané qui lui est associé, que le sociologue Guy Vincent a nommé, en 1980, « forme scolaire » et dont la Maison de la Pédagogie de Mulhouse interroge la capacité à répondre aux besoins et aux enjeux éducatifs de notre temps.
Groupe classe, groupes de niveau ou de besoins... ou autrement ?
C’est l’interrogation qui a traversé toute la Rencontre-débat du 3 avril évoquée ci-dessus, à partir de la question : « De quoi les groupes de niveau sont-ils le nom ? » Ou bien, de façon plus contextualisée : comment le collège unique, créé en 1975 par la réforme Haby, fait-il pour prendre en compte l’indépassable hétérogénéité des élèves ?
Toutes les recherches scientifiques en attestent : les groupes de niveau ne font que contribuer au creusement des inégalités scolaires, sur fond d’inégalités socio-culturelles. Ce qui a incité un participant au débat qui a suivi l’intervention de Nicole Poteaux à faire le lien entre système éducatif d’aujourd’hui et société de demain :« Le danger, avec les groupes de niveau, c’est que le groupe des « forts » (majoritairement issus de milieux sociaux favorisés) constitue une élite qui n’aura pas appris à vivre avec d’autres enfants de milieux différents : comment veut-on alors que cette élite prenne de bonnes décisions ? Les élèves ont besoin d’apprendre à vivre ensemble pour résoudre les problèmes très compliqués qui les attendent. Les groupes de niveau sont facteurs de ségrégation ».
Les groupes de besoin, quant à eux, sont plus souples que les groupes de niveau, mais le risque est qu’ils soient réservés aux élèves en difficulté et restent donc des marqueurs d’échec.
Pourtant, au début des années 1980, un certain Louis Legrand, avait remis, à la demande du ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Alain Savary, un rapport solidement étayé par une recherche de terrain de 3 ans, à laquelle a participé Nicole Poteaux. Il a ainsi été possible de documenter finement le fait que tous les élèves n’apprennent pas de la même façon, n’ont pas le même rythme, pas les mêmes motivations, pas le même rapport au savoir, pas les mêmes histoires de vie : autant de paramètres qui interviennent dans les apprentissages. Sachant aussi qu’apprendre est un processus individuel, mais pas solitaire, jamais sans les interactions avec les autres, avec un environnement aussi riche et diversifié que possible.
À partir de ces constats, il a été proposé de travailler autrement : en fixant des objectifs aux élèves et en leur proposant des supports différents et des temps différenciés pour les exécuter. De façon plus large, Legrand a préconisé la formation, au sein du collège, de groupes de 100 à 120 élèves avec une douzaine d’enseignants qui les prennent en charge, alternant activités d’enseignement et de suivi des élèves sous forme de tutorat ; l’objectif étant de pouvoir prendre en compte les différences entre élèves en matière d’apprentissage au lieu de les assigner à des niveaux, de les enfermer dans des groupes dont ils ne pourront pas sortir. La « différenciation pédagogique », chère à Legrand, s’accompagnait donc d’une remise en cause de la forme scolaire.
C’est ce que les syndicats d’enseignants n’ont pas accepté. Le ministre a été lâché par le gouvernement, le rapport Legrand a été enterré… et la différenciation pédagogique n’a pas fait école en dehors de quelques expérimentations ou recherches-actions restées relativement confidentielles malgré les satisfactions qu’elles ont pu engendrer. Et les questions posées il y a 40 ans sont toujours là… On les retrouve dans la Trace de cette Rencontre-débat, disponible sur notre site.
Et si on allait voir ailleurs ?
C’est ce que propose la MPM dans sa Rencontre-débat du 21 mai prochain avec le second volet de son diptyque sur la prise en compte de l’hétérogénéité des élèves dans une perspective de réussite de l’ensemble des publics.
Après l’approche historique et pédagogique de cette question centrée sur l’école française, la MPM ouvre en grand ses portes en élargissant la réflexion sur la forme scolaire à l’espace international de l’éducation. Elle le fait avec une intervention de Romuald Normand, Professeur des universités à Strasbourg, Expert européen spécialiste de l’analyse comparée des systèmes éducatifs et des politiques d’éducation.
En 2013, Romuald Normand a déjà été l’auteur, avec François Muller, d’un ouvrage au titre prometteur : « Ecole : La grande transformation ; les clés de la réussite » (ESF Sciences humaines). Nourri de nombreuses études françaises et internationales, ce livre ouvre la voie d’une véritable transformation de l’École, grâce à l’intelligence et à la créativité de tous ses acteurs.
Depuis, Romuald Normand a multiplié les recherches et les interventions au sein des systèmes éducatifs à l’échelle mondiale. L’examen des résultats des enquêtes PISA lui permet de mettre en évidence les liens entre les systèmes éducatifs qui réussissent le mieux et certains modes d’organisation de l’établissement et du travail des enseignants. Il est ainsi en mesure d’affirmer que « développer une culture de la coopération, promouvoir l’intelligence collective, adapter l’accompagnement et les ressources mises à disposition des enseignants, diriger les équipes pédagogiques pour leur bien-être sont des solutions qui marchent ».
Le 21 mai, Romuald Normand nous fait le plaisir de venir nous présenter les résultats de travaux scientifiques internationaux encore peu connus en France. Une chance à ne pas laisser passer pour nous aider à porter, en retour, un regard éclairé sur notre système éducatif et sa forme scolaire.
Dans le sillage des grand(e)s pédagogues ...
La première escale nous a permis de faire la connaissance de « la Gerbe de textes libres », dans le sillage du grand pédagogue Célestin Freinet. L’occasion de constater que, à l’école primaire, il est possible, sans doute plus qu’ailleurs, de s’affranchir de la forme scolaire pour mettre en œuvre une pédagogie qui respecte les envies et les rythmes des élèves. On retrouve les Traces de cette Rencontre du 25 mars dernier dans un copieux et riche « Carnet de voyage » accessible sur notre site.
Quittant le terrain de l’école publique, la Maison de la Pédagogie de Mulhouse et le Rezo proposent de partir à la découverte de la « nébuleuse » des écoles alternatives (pour reprendre l’expression de Sylvain Wagnon, Professeur de sciences de l’éducation à l’université de Montpellier). Le 13 mai, la directrice de l’école démocratique de Belfort nous fait visiter, en visio, la structure dans laquelle elle est aussi enseignante. Voici ce qu’elle en dit :
« Inspirée de l'école démocratique Summerhill school en Angleterre, fondée en 1921, l'école démocratique de Belfort, ouverte il y a 3 ans, permet aux élèves de choisir leurs apprentissages et de faire entendre leurs voix sur le fonctionnement de l'école.
La liberté d’apprendre est au cœur de l’école, les élèves peuvent choisir leur planning et parfois leurs sujets d’apprentissage, notre objectif est que les élèves aient envie d’apprendre.
Le fonctionnement démocratique de l’école permet de créer au quotidien une école qui appartient à nos élèves. Grace à ce fonctionnement, les élèves sont plus heureux de venir à l’école, gagnent en autonomie, et un cadre serein est préservé.
- Comment mettre en place un fonctionnement démocratique au service d’un environnement scolaire serein ?
- Comment donner ou redonner l’envie d’apprendre aux élèves ?
- Comment mettre les élèves au centre de leurs apprentissages ? »
Le « fonctionnement démocratique » affiché par cette structure éducative alternative, qui se situe dans le sillage du grand pédagogue britannique Alexander S. Neill, ne peut manquer d’interroger la nature des relations entre Éducation nouvelle et forme scolaire. Découvrez la présentation détaillée.
Rappelons que cet Atelier est ouvert à celles et ceux qui souhaitent présenter un outil, une pratique, une démarche, un dispositif pédagogique qui peuvent être considérés comme autant de « possibles » éducatifs susceptibles de répondre aux besoins des publics et aux enjeux de notre temps. Les propositions sont à adresser à la MPM ou au Rezo en tenant compte de la note de cadrage.
- Lire aussi la Trace de la Rencontre-débat du 14 juin 2023, avec Sarah Alami : « Entrons dans l’atelier d’une prof de français ».
Pour contacter la MPM :