Billet MPM de avril 2024
La MPM à la croisée des regards
sur l’école et l’éducation
En une semaine, entre le lundi 25 mars et le samedi 30 mars, ce sont deux approches du monde scolaire, différentes de divers points de vue, qui nous ont été proposées et qui permettent de prendre la mesure de la pluralité des regards et des appréciations que l’on peut porter sur l’école. Deux approches qui témoignent de la volonté de la Maison de la Pédagogie de Mulhouse à varier la focale pour mieux appréhender la réalité d’un système, entre vie de la classe et discours politiques.
Allons donc y regarder de plus près… puis de plus loin !
Sur le terrain, « dans le sillage des grand(e)s pédagogues »
C’était le lundi 25 mars, la première séance de la nouvelle formule de notre Atelier, co-organisé avec le Rezo. Au programme, la présentation d’un outil pédagogique, « la Gerbe de textes libres », par Annie De Larochelambert, membre du Comité d’animation de la MPM. Une brochure composée de textes d’élèves de la maternelle au CM2, provenant d’une vingtaine de classes de l’est de la France, qui paraît 5 fois l’an depuis une trentaine d’années.
Pendant trois-quarts d’heure, Annie nous a présenté l’ensemble du processus d’élaboration, depuis les hésitations de certains élèves à se lancer dans l’écriture jusqu’à la réalisation matérielle de la brochure. Un outil qui est bien plus qu’un outil, puisqu’il renvoie à tout un système qui fait de l’enseignant un ingénieur qui a besoin de temps pour installer, par tâtonnements successifs, un édifice pédagogique complexe.
La Gerbe, c’est ce qui permet aux élèves et à l’enseignant de donner du sens à l’apprentissage de la maîtrise de la langue : c’est celui que les élèves ont la possibilité de mettre dans leurs écrits puisqu’ils ont la liberté de partir de ce qu’ils veulent en dehors de toute injonction de l’enseignant. Pour l’enseignant, c’est, en observant, en accompagnant ses élèves, de sentir leur implication et de constater ainsi que l’activité d’écriture a du sens pour eux, et, rétro-activement, que son dispositif porte ses fruits.
La Gerbe c’est aussi ce qui permet de passer d’une activité personnelle à une vie de classe coopérative. C’est le groupe-classe qui accueille, discute, enrichit les textes produits individuellement, afin de les rendre publiables et qui, dans le même temps, permet les apprentissages pour une meilleure maîtrise de l’expression écrite sous ses différentes formes ; le collectif, c’est aussi celui des enseignants qui s’engagent qui échangent entre eux pour contribuer à l’œuvre commune jusque dans sa réalisation concrète.
C’est tout ça, la « Gerbe de textes libres » avec, en prime, pour les élèves comme pour les enseignants, la satisfaction de se percevoir comme sujets, comme auteurs à part entière de leurs textes pour les premiers, de leur activité professionnelle pour les seconds. Une source de plaisir partagé, de reconnaissance mutuelle.
Par son témoignage sur son expérience « dans le sillage du grand pédagogue » Célestin Freinet, Annie a fait rimer Éducation nouvelle et bonheur d’enseigner.
De l’autre côté du miroir… Vue sur l’ensemble du système éducatif
Deux jours après cette belle soirée qui a captivé les participants, le mercredi 27 mars, l’Expresso titrait : « Pourquoi une crise du recrutement des professeurs des écoles ? » à propos de la parution d’un récent ouvrage collectif de 5 universitaires sous le titre : « En quête d’enseignants ». Pour remédier à son manque d’attractivité, les auteurs préconisent la revalorisation du métier et l’amélioration des conditions de travail. Nul ne le contestera sans doute. Et qu’en est-il de la capacité intrinsèque de la pédagogie à donner envie de franchir le pas et de devenir enseignant ? En rappelant, à la suite de Benoît Falaize et Kamel Chabane qu’« Il n’y a rien de plus noble et politique, dans l’école de la République, que la pédagogie ».
Toujours dans l’Expresso, vendredi 29 mars : « École et politique : jusqu’où ? ». Cette fois-ci, ce sont 3 inspecteurs de l’Éducation nationale qui font, dans leur ouvrage, une analyse sans concession de notre système scolaire.
Daniel Subervielle, Christian Lajus Et Patrick Wargnier font d’abord le constat du caractère éphémère des politiques publiques en matière d’éducation : de 1975 à nos jours, ils ont dénombré pas moins de 23 ministres de l’Éducation nationale, soit une durée moyenne de 2 ans et 2 mois d’exercice. Une donnée quantitative qui vient conforter la méfiance de l’ensemble des acteurs du système éducatif à l’annonce de chaque nouvelle réforme, d’une réforme « de plus » … en attendant la suivante.
Surtout, dans l’entretien avec Lilia Ben Hamouda, les 3 auteurs s’autorisent à porter, de l’intérieur, un regard critique sur l’institution dont ils sont partie prenante :
« Notre institution vit collectivement sous l’emprise d’un terrible paradoxe qui fait que la plupart de ses acteurs et usagers pensent qu’elle va mal, mais bien peu estiment qu’elle nécessite des transformations profondes auxquelles pourtant ils s’opposent quand elles sont proposées ! (…) La massification de la scolarité ne s’est pas accompagnée de sa démocratisation car on continue majoritairement à croire et à agir comme si l’égalité prévalait sur l’équité et comme si l’efficacité recherchée pouvait se satisfaire de mesures unilatérales et verticales. »
Au-delà des constats, les auteurs se risquent à faire des propositions qui sont sans doute loin de faire l’unanimité, mais qui sont de véritables invitations à la réflexion. La citation est un peu longue, mais…
« La diversification, la différenciation, la reconnaissance de la singularité des élèves, des personnels, des établissements, des territoires constituent un levier majeur pour l’amélioration de ce système dépassé à bien des égards. La politique du « coup par coup » a ses limites tout comme celle de l’ultra centralisation des politiques éducatives. L’extrême hétérogénéité des situations ne peut plus se satisfaire d’une gouvernance jacobine. Il faut oser faire confiance aux acteurs de terrain qui, mieux que personne, ont une connaissance fine des besoins et des potentialités des territoires sur lesquels ils exercent.
Si la métaphore du mammouth persiste, c’est bien que la glaciation de nos instances dirigeantes constitue le point de tension de toute révolution copernicienne qui pourrait conduire à un transfert massif des compétences en direction des instances régionales. Il s’agirait alors d’une véritable décentralisation et non d’une simple déconcentration, accompagnée d’une autonomie renforcée des unités d’enseignement. Cette dernière serait assortie d’une responsabilisation accrue des acteurs quant à l’efficacité des choix, des décisions et des stratégies collectivement assumées.
C’est de fait une résistance à la volonté et au courage de changer d’ère dont il est question. Les nombreux défis qui nous attendent, notamment ceux générés aujourd’hui par l’intelligence artificielle dans le champ éducatif, nous y contraindront tôt au tard … »
Et les 3 inspecteurs francs-tireurs de conclure :
« Nos propositions qui constituent le dernier chapitre de notre ouvrage ont l’ambition de réconcilier l’école avec une action politique conçue sur de nouvelles bases, quitte à ériger parfois l’utopie en mode de pensée. »
Retour à la Maison de la Pédagogie de Mulhouse
À la fin de la séance « Dans le sillage des grand(e)s pédagogues » de ce début de semaine, les participants ont été invités à réagir à ce qu’a présenté Annie De Larochelambert et aux échanges qui ont suivi. L’appel a été entendu et la récolte de « textes libres » va pouvoir donner lieu, non plus à UNE Trace (comme après les Rencontres avec les grand(e)s pédagogues), mais à DES Traces regroupées dans un « Carnet de voyage » écrit à plusieurs voix.
Profitons-en pour rappeler que notre Atelier accueille toutes les personnes qui souhaitent présenter et partager un outil, une pratique, une démarche, un dispositif pédagogique ouvrant des voies, des « possibles » pour répondre au mieux aux besoins des enfants, des jeunes, des élèves et aux enjeux éducatifs de notre temps. Pour partager, cliquez-ci.
Ainsi va la MPM, de semaine en semaine, de mois en mois, en multipliant les regards sur l’école et l’éducation, mêlant approche locale et approche globale, témoignages d’acteurs de terrain et analyses de chercheurs, relations de faits avérés et libres expressions de points de vue, présentation de réalisations « déjà là » et évocation d’utopies. Le tout dans une dynamique de convergences en faveur d’une école renouvelée.
En l’absence d’un large débat public sur l’école et l’éducation, la MPM continue d’être à l’écoute des voix venues d’ailleurs et d’être en quête de tout ce qui, ici, autour de nous, peut nous donner de bonnes raisons de ne pas baisser les bras et de cultiver le plaisir de nous retrouver pour échanger sur nos pratiques, nos projets, nos interrogations, nos convictions… autant dire sur le devenir de notre système éducatif.
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