Billet MPM de décembre 2023

Quand la MPM donne la parole aux élèves

À l’école, il est de coutume que le prof parle et que l’élève écoute. Rencontre-débat du 29 novembre 2023 : Etre collégiens,collégiennes à Mulhouse en 2023‍En juin dernier, neuf membres de la Maison de la Pédagogie de Mulhouse ont donné la parole à 84 élèves de 4e de cinq collèges de l’agglomération mulhousienne. Une enquête exploratoire conduite en compagnie de deux chercheurs en sciences de l’éducation et anima­teurs du Collectif d’interpellation du curriculum (CICUR), dont les résultats ont été présentés lors de notre Rencontre-débat du 29 novembre.

Une photo inédite et parfois surprenante du collège au moment où les résultats des évaluations en 4e révèlent des performances décevantes en français et en math, alors même que 4 élèves sur 5 ont dé­claré aimer aller à l’école.

Écoutons les élèves pour en savoir plus…

 

Pour les élèves, à quoi ça sert d’aller à l’école ?

Très majoritairement, ils avancent deux raisons : ça sert à « apprendre des choses utiles pour plus tard » et ça permet de « préparer un métier ». Autrement dit, ce qu’on apprend à l’école c’est pour préparer sa vie de futur adulte. Les élèves rejoignent ainsi les deux missions ordinairement attribuées à l’institution scolaire : permettre à tous d’accéder à la culture commune et à chacun de s’orienter vers une formation à la vie professionnelle.

Mais, quand on leur demande s’ils voient d’autres raisons, pour eux, d’aller au collège, ils évoquent spontanément la possibilité de faire des rencontres, de découvrir de nouvelles personnes ou de nou­veaux objets de savoir. Pour ces jeunes, le collège est le lieu privilégié de la sociabilité entre pairs. C’est le lieu d’un « ici-et-maintenant » riche de potentialités et d’apprentissages non exclusivement scolaires.

Entre présent et avenir, entre vie d’élève et vie juvénile, entre promesses à long terme et satisfactions immédiates, le sens que les collégiens et les collégiennes attribuent à leur présence à l’école renvoie à deux temporalités différentes. On imagine bien que la façon de gérer cette tension n’est pas sans con­séquence sur le parcours scolaire des élèves.

Que pensent les élèves de ce qu’on apprend au collège ?

Dans leur grande majorité, les élèves apprécient que le collège leur permette de découvrir des matières autres que ce qu’ils nomment eux-mêmes les « bases », à savoir le français et les maths. D’abord l’anglais, mais aussi l’histoire et la géographie, les SVT, les disciplines artistiques, des sports nouveaux pour eux. Le collège leur apparaît ainsi comme un lieu d’ouverture sur de nouveaux champs de savoirs. Les programmes du collège semblent répondre à leur curiosité, à leur goût latent pour le savoir (ils ne sont que 4 à mentionner des disciplines qui ne servent à rien). Les élèves disent apprendre aussi des choses en dehors du collège. Mais ils ne savent pas bien quoi faire en classe de ces informations glanées ici ou là, dans la famille, dans des clubs, lors de sorties ou de visites, sur les écrans ou sur Internet.

Pour les élèves, le savoir s’inscrit essentiellement dans des disciplines académiques bien identifiées. Les apprentissages transversaux et méthodologiques sont absents des propos des élèves ; de même que les compétences psycho-sociales (à l’exception du respect des règles, des autres). Seuls les savoirs disciplinaires semblent parler aux élèves. Mais ce sont des savoirs « en silos », ce qui ne favorise pas l’établissement de liens entre eux. Ce sont pourtant ces liens qui, au-delà de l’acquisition de savoirs ponctuels, permettent d’établir un rapport au savoir comme « rapport à soi, aux autres et au monde ». L’établissement de ces liens par les élèves eux-mêmes n’a sans doute rien de spontané, d’autant plus qu’au collège la « forme scolaire » d’organisation du temps, en séquences uniformes d’une heure par prof et par discipline ne s’y prête pas.

Comment les élèves disent-ils apprendre ?

Pour acquérir leurs connaissances, les élèves s’en remettent prioritairement aux enseignants : la parole du prof continue d’être considérée comme le véhicule principal de la transmission du savoir. Ce qui confère à l’apprentissage une dimension affective forte : on aime la discipline parce qu’on aime l’enseignant(e), au risque de passer, d’une année à l’autre, à côté d’apprentissages importants pour la suite du cursus scolaire… et du développement de l’autonomie personnelle en matière d’apprentissage. On peut alors parler de la dimension pathogène de l’effet-maître en ce que celui-ci fait écran à la construction, par l’élève, d’une posture de sujet apprenant.

Même si elles ne suscitent pas l’enthousiasme, les pratiques scolaires canoniques comme la copie de résumés ou la prise de notes, les contrôles, les devoirs à la maison, sont assez généralement acceptés comme utiles pour apprendre et les élèves disent s’y soumettre volontiers. Le travail en groupe a bonne presse pour des raisons variées. En revanche, certains exercices, certaines pratiques, donnent lieu à des appréciations négatives à cause de leur manque de sens ou de leur côté répétitif. C’est dans les exercices où ils doivent formuler un avis personnel, et surtout lorsqu’ils doivent s’exprimer à l’oral que les élèves se sentent les moins à l’aise à cause du stress que peuvent provoquer les difficultés d’élocution ou d’expression ainsi que le regard des autres.

D’une façon générale, les élèves disent ne pas avoir de mal à comprendre les demandes des ensei­gnant(e)s et à y répondre, en marquant leur préférence pour effectuer le travail sur un temps plutôt long que court.  Pourtant, les résultats sont là pour relativiser (ou démentir ?) les déclarations des élèves… Ce qui nous amène à nous demander si, pour les élèves, il n’y a pas confusion entre « faire » et « apprendre », entre exécuter une tâche et s’approprier une connaissance ou une compétence ; autrement dit, entre ce que veut dire « apprendre » pour les élèves et pour l’école.

Comment les élèves ressentent-ils leurs conditions d’existence au collège ?

Très majoritairement, les élèves trouvent que les enseignants sont disponibles et répondent à leurs demandes d’aide ou d’explications supplémentaires lorsqu’ils sont en difficulté. Dans l’évaluation de leurs travaux, ils sont plus sensibles aux appréciations formulées par les enseignants qu’à la seule note. Ils sont même un certain nombre à souhaiter des remarques, des conseils plus précis, plus per­sonnalisés. Quelques-uns font part de leur déception, voire de leur incompréhension lorsqu’ils esti­ment que le résultat obtenu n’est pas à la hauteur du travail fourni.

Mais les élèves se montrent plus critiques sur les questions de respect et de justice au sein du collège. La grande majorité des enseignants est appréciée pour leur bienveillance, leur respect des élèves et leur fiabilité. Par contre, quand les élèves émettent des réserves, ils rapportent des situations qui peuvent se révéler d’une grande injustice, notamment à l’encontre de celles et ceux qui ne corres­pondent pas au profil de l’élève standard. Si on ajoute que près d’un élève sur trois ne se sent pas respecté par ses pairs, force est de constater que le collège peut se révéler une cause de mal-être pour un nombre non négligeable d’élèves.

Quelques élèves, que l’on peut qualifier de « réformistes », font des suggestions pour mieux vivre le quotidien de leur établissement : certaines portent sur l’organisation temporelle du collège (pour un meilleur équilibre entre temps de travail et temps de détente ou de loisirs), d’autres sur le groupe classe (l’installation des élèves, les effectifs trop lourds), d’autres encore sur la prise en compte des inégalités scolaires ou la prise en charge des élèves perturbateurs. Au-delà, certains élèves demandent à être davantage écoutés, voire à être considérés par les adultes comme des interlocuteurs à part entière. Ceci afin d’augmenter leur pouvoir d’agir sur leur quotidien scolaire et donner ainsi plus de sens à leur présence au collège.

Quel sens ces élèves de 4e attribuent-ils à l’école et aux apprentissages scolaires ?

Même si le « oui » au collège est souvent accompagné de « mais », de réserves, la grande majorité des élèves composent avec les règles du jeu scolaire : sans y adhérer pleinement, ils ne les remettent pas en cause, y compris lorsqu’on leur demande ce qu’il faudrait changer « pour que l’école soit mieux ». En dehors des 20 % d’élèves interrogés qui ont déclaré d’emblée ne pas aimer aller au collège, les élèves « font avec » un système qui promet « la réussite pour tous » en affirmant promouvoir l’égalité des chances ». Le collège, souvent considéré comme le « maillon faible » du système scolaire, apparaît donc comme habité par un grand conformisme, à bonne distance d’une franche adhésion et d’un total désamour de la part des élèves.

Mais le collège ne fait ni globalement ni massivement sens pour les élèves. Pour l’immense majorité d’entre eux, « ça dépend » de la matière, du prof, de l’exercice demandé, et sans doute de bien d’autres facteurs… De telle sorte que l’on peut parler de bribes, de segments de sens plus que de sens global. Ce qui fait du collège un « collage », un puzzle avec des trous, un pointillisme qui ne permet pas de se représenter le tableau d’ensemble de la culture commune… On est en présence d’une mul­titude de configurations singulières, fragiles, qui font du collège un univers de sens aléatoires et discontinus. L’expérience scolaire des collégiens et des collégiennes est ainsi vécue comme une succession de situations qui font de chaque journée, de chaque heure de classe, des sources d’inconfort, d’insécurité, génératrices d’inquiétude et d’incertitude préjudiciables à la disponibilité d’esprit favo­rable à l’entrée dans les apprentissages scolaires.

Il y a donc là, dans cet éclatement du sens de l’école, un facteur d’inégalités entre celles et ceux qui sont en mesure de donner du sens à leur présence au collège dans une double perspective d’accès à une culture commune et de réalisation de soi... et les autres.

On le voit, interroger les élèves sur le sens qu’ils donnent à l’école, c’est, en retour, nous interroger nous-mêmes sur ce que l’école peut faire pour contribuer à ce que le sens de l’école devienne la clé principale d’entrée dans les apprentissages scolaires.

Et certains élèves de nous dire en fin d’entretien :

« J'ai bien aimé parler de tout ça avec vous et vous expliquer ces choses. »

« J'ai passé un bon moment, j'ai partagé mon avis. »

 

 

DERNIERE MINUTE : lire la Lettre ouverte du CICUR au ministre de l’Éducation nationale publiée dans l’Expresso du Café pédagogique du 1er décembre Inventer enfin le collège de la culture commune !

 

 

 

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