Billet MPM - Avril 2023                                                                   


 

Parce que…, en particulier en milieu populaire,

la pédagogie compte pour la réussite des élèves et la construction du citoyen
 

C’est ce qui ressort de la Rencontre-débat du 22 mars dernier. Ce soir-là, Benoît Falaize (historien de l’éducation et inspecteur général de l’Éducation nationale) et Kamel Chabane (professeur d’histoire-géographie en collège) ont présenté leur ouvrage « Parce que chaque élève compte », puis échangé avec les participants. Et si on revenait sur les apports et les résonances d’un moment et d’un ouvrage qui invitent les enseignants et les éducateurs à prendre en compte tous les élèves ?

 

Tout commence avec le regard porté sur les élèves

C’est d’abord la reconnaissance du postulat d’éducabilité : tout enfant, tout jeune est capable d’apprendre et de se construire en individu autonome et responsable, indépendamment de ses origines et de ses caractéristiques propres. C’est son appartenance à l’espèce humaine qui lui doit d’être respecté inconditionnellement, à l’égal de tous ses semblables.

Dans le même temps, pour reprendre la célèbre formule de Pierre Bourdieu : « pas d’indifférence aux différences ». Toute la question est de savoir quelle attitude adopter par rapport à cette deuxième affirmation. Comment faire tenir l’empathie à égale distance de la survalorisation de la différence et de la commisération en direction des plus fragiles ? Benoît Falaize était déjà intervenu à la MPM, en juin 2021 sur la thématique de la diversité culturelle dans l’école. Pour en savoir plus...

Enseigner en milieu populaire c’est aussi refuser tout fatalisme et tout déterminisme, de quelque nature qu’il soit. C’est refuser d’assigner l’élève à une image simpliste, à une couleur de peau, à une culture, à une catégorie sociale discriminante. C’est, comme le rappelle avec force le récent Manifeste de Convergence(s) pour l’Éducation nouvelle, considérer l’élève dans sa globalité, dans toute sa complexité. C’est notamment prendre en compte les capacités, les compétences, les aptitudes qu’il est capable de développer en dehors du cadre scolaire. C’est accepter de modifier la représentation qu’on se fait de lui. Parce que ce qui compte, c’est la personne en devenir.

Maintenant, reste à savoir comment traduire ces considérations en actes pédagogiques dans la classe.
 

 

De l’écoute des élèves à l’établissement de la vérité

Considérer les élèves comme des personnes en devenir, c’est d’abord les considérer comme des interlocuteurs à part entière, y compris pour entendre des affirmations erronées, des propos désagréables ou carrément provocateurs. De telles interventions spontanées d’élèves peuvent faire irruption à tout moment, surtout dans les établissements de quartiers que l’on appelle pudiquement « sensibles », héritiers d’une politique massive d’immigration pour fournir la main d’œuvre nécessaire à l’économie de la France dans la seconde moitié du XXe siècle.

Mais, bien évidemment, écouter, comprendre ne valent pas acceptation de ce qui est dit.

L’enseignant est là, non pour faire preuve d’autorité en imposant le savoir de sa discipline, mais pour imposer un temps de suspension du jugement. Un jeu subtil peut alors s’engager par l’établissement d’un dialogue qui est au cœur de la relation pédagogique. C’est surtout vrai lorsque, comme dans les témoignages présentés par Kamel Chabane, il s’agit de questions « socialement vives » (qui ne sont pas l’apanage du seul enseignement de l’histoire).

Amener les élèves à sortir de l’erreur ou de l’opinion, éviter la confrontation de paroles contre paroles passe par le recours à une démarche scientifique : seule la présentation ou la recherche d’informations incontestables car vérifiables permet d’établir un socle commun de vérité. Une telle démarche exigeante a le mérite de contribuer au développement d’un rapport au savoir émancipateur puisqu’il permet aux élèves d’acquérir les outils propres à l’élaboration de leurs connaissances. L’enseignant n’est plus celui qui dicte la vérité du savoir, mais celui qui fait en sorte que chaque élève puisse se doter progressivement des moyens d’opérer par lui-même la distinction entre le faux  et le vrai.

Un tel processus de construction de la pensée scientifique se révèle encore plus nécessaire et riche de potentialités lorsque l’enseignant doute lui-même de ses connaissances sur le sujet et s’engage, aux côtés de ses élèves, dans la recherche de la vérité.
 

 

Défense et illustration de la pédagogie de projet

De prime abord, on pourrait penser que « Parce que chaque élève compte » chaque élève doit pouvoir être pris en compte de façon individuelle ou personnalisée et bénéficier d’une attention particulière de la part de l’enseignant, un peu à la manière du traitement « médico-pharmaceutique » de la difficulté scolaire, forme caricaturale de la pédagogie différenciée.

Rien de tel dans les témoignages réunis dans l’ouvrage coordonné par les deux intervenants de la soirée. La pédagogie qu’on y retrouve partout mise sur la dynamique collective pour embarquer chaque élève dans l’aventure du projet à mener à bien. Le collectif permet à chacun de trouver sa place, de compter dans la réussite de l’entreprise commune. Le « faire ensemble » (ou la coopération) qui s’inscrit dans la durée de l’année scolaire amène les élèves à se découvrir et à s’apprécier différemment tout au long des tâches à accomplir, des choix à opérer, des différends à régler pour avancer. Tout au long de la conduite du projet, une alchimie faite d’une multitude de micro-interactions favorise le changement de point de vue sur l’autre, la reconnaissance de la différence et le développement du lien social. La pédagogie de projet apparaît ainsi comme une démarche qui articule la construction d’un commun et la prise en compte des parcours et des identités personnelles.

Cette dimension vertueuse de la pédagogie de projet n’est plus à prouver. Mais se révèle d’autant plus fructueuse que le projet est ambitieux et débouche sur une réalisation qui sortira des murs de l’école. Il en va de même lorsque le projet est celui d’une équipe et devient ainsi inter ou pluridisciplinaire et qu’il intègre d’autres démarches ou pratiques pédagogiques telles que celles mentionnées dans l’ouvrage : enquêtes, visites à l’extérieur, rencontres avec des personnes-ressources, participation à des concours, etc… Autant d’éléments qui contribuent à renforcer l’engagement des élèves aussi bien que des enseignants dans une activité porteuse de sens. Soulignons enfin que la conduite d’un projet n’est pas le tout d’une architecture pédagogique complexe et que l’ « extraordinaire » du projet prend place dans un « ordinaire »de la classe avec lequel il  fait système, dans le respect des mêmes valeurs et des mêmes convictions.
 

 

Des convictions personnelles à la professionnalisation du métier d’enseignant

On sent bien que l’enjeu éducatif est fort et que, pour Benoît Falaize et Kamel Chabane, l’école est une pièce maîtresse pour que les quartiers privés de mixité sociale (re)deviennent des « Territoires vivants de la République ». À l’heure où se mettent en place les QRR (« Quartiers de reconquête républicaine »), à grands renforts de moyens financiers et de communication, nos deux intervenants nous ont bien fait sentir qu’il faut de solides convictions pour se lancer, sans moyens supplémentaires, dans la mise en œuvre de projets coûteux en énergie et en temps… Nombre d’enseignants en ont fait l’expérience… sans jamais avoir eu à le regretter.

On l’a compris aussi : outre les solides connaissances dans le domaine disciplinaire, la pédagogie de projet requiert des compétences qui ne s’acquièrent qu’en la pratiquant. Construire ces compétences faites d’attitudes, de postures, de gestes professionnels exigeants, suppose un va-et-vient permanent entre tâtonnements sur le terrain, retours réflexifs et consolidation des acquis. C’est pourquoi, comme l’a souligné B. Falaize en fin de soirée, une formation continue digne de ce nom semble le meilleur moyen pour accompagner les enseignants dans la durée par le recours régulier à des échanges (ou à des analyses) de pratiques, de préférence au sein d’un même établissement.

C’est pourquoi aussi, à aucun moment de la soirée, nulle part dans leur ouvrage, les deux auteurs de « Parce que chaque élève compte » n’ont dit, n’ont écrit ce qu’il faut, ce qu’il faudrait faire pour devenir un professionnel de la pédagogie de projet. Leurs propos se présentent, simplement mais puissamment, comme une invitation des enseignants à devenir les « inventeurs » de leur pédagogie (pour reprendre le terme de Philippe Meirieu dans la riche et éclairante postface de l’ouvrage).

On voit enfin qu’une telle pédagogie entre bien en résonance avec la conception de l’éducation présentée par Bernard Charlot comme « un triple processus d’humanisation, de socialisation et de singularisation ». En sachant que tout processus d’intégration/émancipation présent dans tous les témoignages de « Parce que chaque élève compte » s’inscrit dans la durée… et qu’on n’est jamais à l’abri de bonnes surprises !

La Maison de la Pédagogie de Mulhouse n’a ni prétention ni vocation à intervenir dans le champ de la formation des enseignants. Elle se contente de mettre en avant des possibles, sans angélisme, sans nier les nombreuses difficultés à surmonter. La pédagogie ne peut s’appréhender en dehors du contexte dans lequel elle est exercée. La MPM propose simplement d’accueillir celles et ceux qui souhaitent poursuivre la réflexion ouverte par la Rencontre-débat du 22 mars, selon des modalités à définir ensemble… pour que, un jour peut-être, ce qui se vit aujourd’hui encore à la marge de l’école, devienne le centre de notre système éducatif.

C’est ce qui ressort de la Rencontre-débat du 22 mars dernier. Ce soir-là, Benoît Falaize (historien de l’éducation et inspecteur général de l’Éducation nationale) et Kamel Chabane (professeur d’histoire-géographie en collège) ont présenté leur ouvrage « Parce que chaque élève compte », puis échangé avec les participants. Et si on revenait sur les apports et les résonances d’un moment et d’un ouvrage qui invitent les enseignants et les éducateurs à prendre en compte tous les élèves ?

 

À noter les prochains rendez-vous à la Maison de la Pédagogie de Mulhouse :

  • le lundi 24 avril, de 18 h 30 à 20 h 30, à la Maison des associations de Bourtzwiller : À la rencontre de la grande pédagogue hongroise Emmi Pikler, en compagnie de Josiane Grou (membre du Comité d’animation de la MPM) : c’est la reprise et la poursuite de la séance du 13 mars, interrompue par un orage. Pour en savoir plus...
  • le jeudi 11 mai, de 18 h 30 à 20 h 30, au Carré des associations (100, avenue de Colmar, à Mulhouse) : rencontre-débat avec Marie-Aleth Grard, présidente nationale d’ATD Quart-Monde, autour de l’ouvrage « L’égale dignité des invisibles ; quand les sans voix parlent de l’école » (en partenariat avec le secteur Éducation d’ATD QM d’Alsace).
 

 

À lire…

   

 

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