Le billet de février 2018
Quelle(s) pédagogie(s) pour "enseigner à vivre" ?
"Quand je suis allé à l'école, ils m'ont demandé ce que je voulais être quand je serai grand.
J'ai répondu : "Heureux".
Ils m'ont dit que je n'avais pas compris la question.
J'ai répondu qu'ils n'avaient pas compris la vie".
(John Lennon)
C'est le cadeau qu'un proviseur de lycée mulhousien a fait à la MPM pour bien commencer l'année 2018. Plus prosaïquement, qui n'a pas entendu d'élèves – particulièrement d'élèves dits "en difficulté" – dire que ce qu'on leur demande d'apprendre à l'École, "ça ne sert à rien", "ça ne les aide pas à vivre" ?
"Enseigner à vivre", c'est la fonction que Jean-Jacques Rousseau assignait à l'éducation. C'est le titre d'un ouvrage d'Edgar Morin publié en 2014, qui inaugure la collection "Domaine du possible" chez Actes Sud.
"Enseignez à vivre !"
Sous sa forme impérative et exclamative, le livre d'Edgar Morin est un film documentaire d'Abraham Segal, sorti en salle le 13 décembre dernier et projeté au cinéma Bel-Air le 6 février, avec un débat animé par des membres de la MPM.
On y voit le sociologue, aujourd'hui âgé de 96 ans, s'entretenir avec des élèves et des enseignants d'établissements publics innovants. Il y découvre des pratiques pédagogiques, des modes d'organisation qui permettent – comme il l'écrit dans l'introduction de son ouvrage – "d'affronter des problèmes vitaux comme ceux de l'erreur, de l'illusion, de la partialité, de la compréhension humaine, des incertitudes que rencontre toute existence" (p. 11). Le film fait ainsi constamment le lien entre les apprentissages qu'Edgar Morin appelle de ses vœux et les pratiques pédagogiques déjà en place dans certains établissements, de l'école au lycée. En reprenant le titre du film de Jean-Paul Pénard sur le CLEPT de Grenoble, diffusé lors de la rencontre-débat de mai dernier, on peut affirmer qu'"enseigner à vivre" est aujourd'hui une "utopie concrète".
Enseigner à vivre avec le numérique
Ni instrument diabolique, ni réponse-miracle aux problèmes de l'École, le numérique est partout présent. Mais son utilisation en classe ne va pas de soi. Pierre-Marie Théveniaud ne partage pas le point de vue exprimé par André Giordan dans sa conférence du 16 octobre 2017, pour qui le numérique est "un outil comme les autres". Il estime, au contraire, que le numérique est porteur d'un rapport au savoir et au monde qui mérite d'être interrogé.
Compte tenu de l'ampleur du sujet, P.-M. Théveniaud propose une série de 4 ateliers pédagogiques, à raison de un par mois. Il inaugure ainsi une nouvelle formule pour aborder une thématique qui constitue l'un des axes de réflexion définis par l'AG de la MPM de novembre dernier. À partir des différents usages pédagogiques du numérique, l'atelier A du 7 février envisage de commencer par mieux cerner la notion même de "numérique à l'École".
Enseigner à vivre avec les émotions
Celles et ceux qui ont assisté, le 25 janvier, à la projection du film "Une idée folle", au cinéma Bel-Air, se souviennent sans doute de la séquence dans laquelle un petit garçon de maternelle dit à l'enseignante qu'il est énervé, ce qui l'empêche d'être bien dans la classe. S'ensuit un échange qui permet au petit garçon de retrouver sa sérénité. Et l'enseignante de souligner l'importance de la prise en compte des émotions, pour l'élève lui-même et pour ses relations avec les autres.
Mais il y a plus : de nombreuses études montrent l'importance des émotions dans les apprentissages eux-mêmes. Elles sont souvent des déclencheurs du processus cognitif, puis porteuses de conditions favorables à l'ancrage de la connaissance dans la mémoire. Permettre à l'élève d'exprimer ses émotions, lui apprendre à les identifier, à les accepter, chez lui et chez les autres : voilà ce qui est au cœur de l'atelier pédagogique animé par Annie De Larochelambert, le mercredi 14 février.
Comment et quoi enseigner à des enfants venus d'ailleurs ?
Initialement, le programme des activités de la MPM pour le 2e trimestre affichait, pour le mois de février, une rencontre-débat sur le système scolaire finlandais. Il s'agissait de proposer un point de vue critique sur ce qui est souvent considéré comme un Eldorado éducatif, et que la fin du film "Demain", projeté lors de notre rencontre-débat de novembre 2016, présentait comme un modèle d'École du futur. Mais l'auteur de La meilleure éducation au monde ? Contre-enquête sur la Finlande a dû annuler son déplacement.
La rencontre-débat du mardi 13 février change donc de perspective et s'intéresse à la façon dont notre École prend en charge les primo-arrivants, ces enfants qui ne parlent pas un mot de français. Jean-Yves Carlen et Marie Bettinger viennent témoigner de leur expérience d'enseignants dans un dispositif local d'accueil de ces enfants venus d'ailleurs. Des pratiques de terrain qui méritent d'être mieux connues quand on s'intéresse à l'intégration des élèves non francophones, qui représente un défi majeur pour l'École d'aujourd'hui.
Résonances, récurrences, ricochets, rebonds… Au bout de deux années d'activités de la MPM, des liens encore ténus commencent à se tisser entre les différentes thématiques abordées dans les rencontres-débats et dans les ateliers pédagogiques, comme autant d'invitations à "enseigner à vivre".
Pour terminer, redonnons la parole à Edgar Morin, dont la conclusion d'Enseigner à vivre commence ainsi : "Il n'existe jamais de consensus préalable à l'innovation. On n'avance pas à partir d'une opinion moyenne, qui est non pas démocratique mais médiocratique. On avance à partir d'une passion créatrice. Toute innovation transformatrice est d'abord une déviance. […] La déviance se diffuse en devenant une tendance puis une force historique. Il nous faut une révolution pédagogique" (p. 119).
Pour le 2e anniversaire de son ouverture, le 23 février 2016, la MPM se trouve ainsi confortée dans sa vocation à accueillir et faire se rencontrer localement toutes les personnes pour lesquelles la pédagogie doit être un levier pour "enseigner à vivre".