Construire ensemble des compétences interculturelles :
une démarche pédagogique à découvrir

Rencontre-débat du 7 février 2017

Mardi 7 février 2017 de 18 h 30 à 21 h

Université de Haute-Alsace – Campus Illberg, École nationale supérieure de Chimie – 3 rue Alfred Werner, Mulhouse

Vivre la méthode d'acquisition de ces compétences

Evoluer dans un environnement tri-national tel que celui du Rhin supérieur, nécessite le développement des compétences nécessaires pour agir avec aisance dans un contexte multiculturel. Il en va de même de l'acquisition de l'autonomie suffisante pour adapter et optimiser des compétences telles que… se connaitre soi-même et optimiser son potentiel d’évolution, gérer sa vie professionnelle, adapter sa communication selon les contextes, travailler dans des équipes multiculturelles, ou oser aller vers l’Autre.

NovaTris est le Centre de compétences transfrontalières de l'Université de Haute-Alsace, dont l’objectif principal est de permettre aux apprenants de tous horizons de développer ces compétences. Pour cela, NovaTris recourt à une méthode construite autour des principes de diverses pédagogies actives et d’accompagnement, mais également de ressources théoriques nécessaires à la formalisation et à la traduction des compétences en contexte réel.

Pour présenter notre méthode, nous proposons de la faire vivre aux participants, puis d'en expliquer les bases théoriques, pour nourrir un échange permettant à chacun de prendre du recul par rapport à ses pratiques et, pourquoi pas, de les faire évoluer...

Photos Jean-Marie Notter

Compte rendu

En lien avec ses activités de recherche, NovaTris (Centre de compétences transfrontalières de l'UHA) intervient à la demande dans divers milieux liés à la formation et anime des actions dans les domaines suivants : apprentissage innovant des langues, mobilité transfrontalière, modules interculturels, formations transfrontalières, projets étudiants et entreprenariat.

Construire ensemble…

Les participants ont été répartis en 2 groupes d'égale importance. Dans chaque groupe, les rôles ont été répartis entre "constructeurs" et "observateurs". Les intervenants ont vidé le contenu de 2 boîtes KAPLA : 250 (ou 300 ?) petites pièces de bois, toutes identiques, devant chaque groupe, avec la consigne de construire l'édifice le plus haut possible en 5 minutes chrono. Les "constructeurs" de chaque équipe se sont aussitôt attelés à la tâche ; les "observateurs" ont suivi de près l'évolution du chantier. Au bout des 5 minutes, l'arbitre, muni de son mètre, est venu mesurer la hauteur de chaque construction pour désigner le vainqueur : un peu plus de 60 cm pour la plus élevée.

Les rôles ont été inversés pour le 2e exercice : il s'agissait cette fois de construire l'édifice le plus beau, sans limitation de temps. Le jury a déclaré ex aequo les deux réalisations, avant de passer au 3e exercice. Les "constructeurs" droitiers ont dû mettre la main droite dans leur dos (les gauchers, la gauche, bien sûr) et bâtir, sans mot dire, à nouveau la tour la plus haute en 10 minutes. Les résultats ont été très voisins de ceux obtenus lors du premier exercice.

(Pour information, le record est détenu par un groupe de lycéens qui ont réalisé l'exploit de construire une tour de plus de 2,60 mètres !).

… des compétences interculturelles…

A l'issue de chaque exercice, les "observateurs", puis l'ensemble des participants ont été invités à faire part de leurs constats et de leur ressenti. Ils ont été ainsi progressivement amenés à énoncer les compétences mises en œuvre lors de la construction des édifices.

Le "débriefing" qui a suivi la mise en action a ainsi permis de dégager en quelques minutes des compétences très variées : sociales, esthétiques, techniques…

Il en va ainsi de nos gestes les plus quotidiens, les plus ordinaires, qu'il convient de regarder avec la distance nécessaire pour en dégager tout l'"extraordinaire" de leur banalité et d'interroger, de décomposer les compétences en jeu pour mieux les prendre en compte.

NovaTris s'intéresse à 3 grands types de compétences : sociales (travail en équipe, communication, empathie, gestion des conflits…), personnelles (créativité, retour sur soi, flexibilité, concentration…), méthodologiques (esprit critique, organisation, apprentissage, conceptualisation…).

Mais la compétence elle-même est une notion qui ne se laisse pas facilement définir et qui recouvre des réalités de natures et d'ampleurs fort variées : qu'y a-t-il de commun entre "savoir faire du vélo" et "oser" (sans plus de précision) ou "faire preuve d'empathie" ?

La dimension "interculturelle" des compétences doit également être interrogée. Elle va bien au-delà de la dimension "tri-nationale" évoquée dans le petit texte de présentation de cette soirée ou sous-jacente au qualificatif de compétences "transfrontalières". Les intervenants ont insisté sur le caractère pluriel de la culture dont chacun est porteur : à côté de la culture au sens national du terme, il y a la culture régionale, la culture familiale, la culture professionnelle, la culture religieuse (la liste n'est pas exhaustive).

Les compétences interculturelles ont donc à voir avec tout ce qui touche au respect, à l'acceptation de l'Autre. Elles concernent le "faire ensemble", par exemple le travail en équipe, et plus particulièrement entre personnes de langues et de cultures différentes.

Avec M. Abdallah-Pretceille, NovaTris privilégie une conception dynamique de l'interculturel : "Dans une perspective interculturelle, on s'attarde moins sur la culture comme déterminant les comportements, mais sur la manière dont l'individu utilise les traits culturels pour dire et se dire, pour s'exprimer verbalement, corporellement, socialement, personnellement".

… par une pédagogie de l'accompagnement

L'apprentissage de ces compétences s'appuie sur la modélisation proposée par D. Kolb, avec son "cycle de l'apprentissage expérientiel" en 4 temps :

  • l'expérimentation : je vis une expérience, chez moi ou dans un pays étranger…

  • la réflexion : je réfléchis à propos des expériences vécues ;

  • le raisonnement : je crée des outils, des savoir-faire qui me permettent d'améliorer mes expériences futures ;

  • la mise en pratique : je teste les outils et savoir-faire que j'ai créés, dans un environnement sécurisé.

Le "savoir expérientiel" ainsi construit permet à l'individu d'être mieux "outillé" lors d'expériences de même nature ou d'améliorer ce savoir dans une construction de type spiralaire.

La "pédagogie NovaTris" se propose d'accompagner les personnes dans la construction de compétences interculturelles selon une démarche que nous ont présentée Johann Chalmel et Vera Sauter.

Dans cette méthode adaptée au développement individuel de compétences, accompagnateur et accompagné sont placés sur un pied d'égalité. L'accompagnateur s'adapte au contexte de l'accompagné. On peut alors envisager d'enclencher un processus que l'on peut aussi dérouler en 4 temps :

  • la "déconstruction" de l'activité et la "conscientisation : il s'agit de nommer les compétences en jeu (comme nous l'avons fait à l'issue de la construction des édifices en bois, et comme l'a expérimenté Paolo Freire en amenant des populations analphabètes du Brésil à prendre conscience des compétences et du potentiel qu'ils possédaient en dehors de la maîtrise de la culture écrite) ;

  • le choix des compétences à travailler ;

  • le travail personnel sur ces compétences, avec un accompagnement personnalisé ;

  • l'évaluation de la maîtrise des compétences et les suites éventuelles à envisager : approfondissement ou travail sur d'autres compétences.

De son côté, Annette Pasteau (membre de l'équipe NovaTris) nous a présenté sa démarche d'"autonomisation en contexte multiculturel" : la tenue d'un journal de bord permet à des étudiants de formaliser, voire de conceptualiser leur expérience universitaire à l'étranger et leur rencontre avec l'Autre, et d'accéder ainsi à un "Moi renouvelé". Voici ce qu'en dit une étudiante : "Quoi qu'il en soit, ces quelques mois outre-Rhin, représentent déjà pour moi, et c'est ce qui, à mon sens, est le plus important à rapporter, une formidable expérience de vie : une nouvelle langue (cette langue du quotidien que l'on n'apprend pas à l'école mais bien lors de séjours comme celui-ci), une nouvelle culture, un autre point de vue, une façon de voir la vie, à travers les lunettes d'un autre. Et même s'il faut du temps pour y voir clair et s'adapter à des verres pas toujours très progressifs, au final, le monde Brille deux fois plus…"

Jean-Pierre Bourreau (membre du Comité d'Animation), février 2017.

Intervenants

  • Johann CHALMEL, responsable du pôle Recherche de NovaTris et chercheur associé au LISEC (EA 2310)

  • Vera SAUTER, responsable du pôle Innovation pédagogique et compétences interculturelles de NovaTris et doctorante au LISEC (EA 2310)

Éléments de bibliographie

  • ABDALLAH-PRETCEILLE M., Former et éduquer en contexte hétérogène, pour un humanisme du divers, Economica, Paris, 2003
  • BOUTINET J.-P. (Dir.), Denoyel N., Pineau G., Robin J.-Y., Penser l'accompagnement adulte, Presses Universitaires de France, 2007
  • DERVIN F., Impostures interculturelles, L’Harmattan, Paris 2011
  • FREIRE P., L’éducation dans la ville, Païdeia, Paris, 1995
  • Experiential learning, experience as the source of learning and development, Pearson Education, 1984