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Quand les "sans voix" nous obligent
à interroger l'école...

 

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Le jeudi 11 mai 2023 de 18 h 30 à 20 h 30

salle du rez-de-chaussée au PAX 54 rue de Soultz à Mulhouse
(parking place du Rattachement)

 

La France compte aujourd'hui plus de 3 millions d’enfants issus de familles vivant en dessous du seuil de pauvreté et reste le pays où les origines sociales jouent le plus sur le destin scolaire, puis professionnelle et social, des élèves.

C’est à ces laissés pour compte de l’« égalité des chances » et de la « réussite pour tous » promises par l’école publique que s’intéresse, depuis longtemps, ATD Quart Monde. Ce mouvement leur donne aujourd’hui la parole dans le livre dirigé par Marie-Aleth Grard, sa présidente nationale : « L’égale dignité des invisibles », avec ce sous-titre : « Quand les « sans voix » parlent de l’école ». Un ouvrage fait de rencontres avec à celles et ceux qui sont souvent considérés comme « absents » et parfois même jugés démissionnaires sur leur scolarité et celle de leurs enfants.

Au cours de son intervention, Marie-Aleth Grard s’appuiera sur de nombreux témoignages sans concession pour nous faire part de la façon dont les familles qui vivent dans la grande pauvreté appréhendent le monde scolaire. Seront ainsi notamment abordés les thèmes suivants :

  • le regard des professionnels de l’éducation sur les familles pauvres, sur le handicap ;
  • les liens entre mixité sociale, mixité scolaire et réussite des élèves ;
  • le soutien et l’accompagnement des élèves en situation de précarité ;
  • l’orientation de ces mêmes élèves ;
  • les gestes professionnels qui aident ou blessent

Mais les « sans voix », avec le soutien d’ATD Quart Monde, font aussi des propositions pour que l’école mette tout en œuvre pour ne laisser aucun élève au bord du chemin de l’accès à la culture et à l’égale reconnaissance de la dignité de chacune et chacun ...

Une soirée ouverte à tous les Éducateurs, professeurs, personnels d’encadrement, élus, citoyens, parents, responsables politiques à tous les niveaux, à toutes celles et tous ceux pour qui l’école est un enjeu majeur dans la construction d’une société plus juste, plus solidaire, plus humaine.

 

Intervenante : Marie-Aleth Grard

Marie-Aleth Grard, membre du Mouvement ATD Quart Monde depuis 1982 s'est toujours intéressé aux questions d'éducation. Représentante d’ATD Quart Monde au Conseil Économique Social et Environnemental durant 13 ans dont elle a été rapporteure des avis sur la réussite « Une école de la réussite pour tous » et «Le revenu minimum social garanti ». Elle est présidente d'ATDQ Quart Monde depuis 2020.

 

Repère bibliographique

  • GRARD, Marie-leth. (Sous la direction). (2022). L’égale dignité des invisibles, quand les sans-voix parlent de l’école. Le Bord De L’eau Eds

 

Trace de la rencontre

Rencontre-débat du 11 mai 2023

Quand les « sans voix » parlent de l’école…

 

Une rencontre-débat « coproduite » par la Maison de la Pédagogie de Mulhouse et le Réseau Éducation d’ATD QUART MONDE Quart-Monde Alsace à l’occasion de la parution de l’ouvrage dirigé par Marie-Aleth Grard : « L’égale dignité des invisibles ; quand les sans voix parlent de l’école ».

Intervenante : Marie-Aleth GRARD, présidente d’ATD Quart-Monde France

Marie-Aleth GRARD est membre d’ATD Quart Monde depuis 40 ans et s’est toujours intéressée aux questions d’éducation. Elle a siégé pendant 13 ans au CESE Conseil économique, social et environnemental) où elle a été, rapporteure, en 2015, de l’avis pour « Une école de la réussite pour tous ».

Le Mouvement ATD Quart Monde (Agir tous pour la dignité Quart-Monde)

ATD Quart Monde est une association sans appartenance politique ni confessionnel qui vise à détruire la misère par l’accès de tous aux droits fondamentaux. La conviction est que ce qui est fait pour, avec et à partir du plus exclu, du plus démuni est utile à tous.

L’action d’ATD Quart Monde est fondée sur 3 refus :

  • le refus de la fatalité de la misère ;
  • le refus de la culpabilité que l’on fait peser sur ceux qui sont dans la misère ;
  • le refus du gâchis humain que génère une société qui exclut une partie de ses membres, se privant ainsi de leur expérience.

Pour l’intervenante, l’engagement dans ATD Quart Monde est « un chemin dans la vie ». Pour elle et son mari, il est impensable que notre société laisse de côté des millions de personnes. A l’école, e il est insupportable de laisser des jeunes au bord du chemin.

Marie-Aleth GRARD rappelle les origines du Mouvement avec l’arrivée, en plein hiver 1957, de Joseph Wresinski, un prêtre nommé dans un bidonville à Noisy-le-Grand, où vivaient 250 familles. D’emblée, il décide de distribuer la soupe populaire hors du bidonville afin d’organiser la vie à l’intérieur autour de 4 lieux :

  • installation d’une laverie pour avoir des vêtements propres pour aller chercher du travail pour les adultes et aller à l’école pour les enfants ;
  • installation d’une bibliothèque car la culture est essentielle pour tout le monde ;
  • création d’Un jardin d’enfants, lieu de rencontres des parents accompagnant leurs enfants ;
  • création d’un salon d’esthétique pour oser se regarder et lutter contre la dégradation de l’estime de soi, due à la vie dans la grande pauvreté et oser parler avec les autres.

Aujourd’hui, ATD Quart Monde est présent dans plus de 30 pays dans le Monde, Joseph Wresinskin a imaginé  3 formes d’engagement :

  • les militants Quart Monde, qui vivent dans la grande pauvreté et qui décident se lever pour devenir militant. Ils se forment à la pédagogie d’ATD Quart Monde qui est de partir de celui qui a le plus de mal pour changer les choses. ;
  • les volontaires permanents: l’immense majorité d’entre eux n’ont pas connu la grande pauvreté, mais ils ont tous une expérience professionnelle ; ils ont 2 ans pour se former puis accepter une mission pour aller vivre auprès des plus pauvres. Ils font un vrai choix de vie simple. Ils sont tous déclarés au SMIC mais logés par ATD Quart Monde, ils perçoivent 700 € d’indemnités ; ils sont une centaine en France, 400 dans le Monde) ;
  • les alliés: ils n’ont pas connu la grande pauvreté et connaissent des niveaux de vie très différents ; ils se forment à la pédagogie d’ATD Quart Monde, ce qui leur permet d’ouvrir leur regard pour oser parler de la grande pauvreté à d’autres et oser faire bouger les choses là où ils vivent ou travaillent.

« L’égale dignité des invisibles ; Quand les « sans voix » parlent de l’école »

C’est Vincent Peillon qui est à l’origine de cet ouvrage : c’est lui qui a demandé à Marie-Aleth GRARD d’écrire un livre sur l’école pour les éditions Le bord de l’eau où il dirige une collection. Elle en présente l’architecture.

  • en introduction, elle présente : le combat Éducation d’ATD Quart Monde dans l’école de 1957 à nos jours
  • puis les témoignages recueillis auprès de 10 militants ATD Quart Monde de 17 à 67 ans qui racontent leur parcours scolaire, parfois très « rude » (pour reprendre l’expression de Marie-Altet GRARD)) ; ils donnent aussi leurs idées sur l’école pour que tous les enfants puissent réussir ;
  • une chercheuse qui anime, avec Marie-Aleth GRARD, la recherche CIPES sur l’orientation scolaire des enfants de familles défavorisées (avec le soutien de certains syndicats et de mouvements pédagogiques et le soutien moral de l’Éducation Nationale) ;
  • un enseignant de Segpa, militant syndicaliste ;
  • une directrice d’école maternelle de 15 classes dans un quartier défavorisé de Lyon avec beaucoup de familles logées dans des centres d’hébergement : 17 enseignantes engagées dans la recherche CIPES avec cette préoccupation : comment joindre les parents ? Comment discuter avec eux ? 80 % des parents ont répondu à un questionnaire sur ce que leurs enfants apprennent en maternelle. Puis des rencontres individuelles avec les autres. Et, à la rentrée de septembre suivante, rencontres avec chaque parent … « Pas derrière le bureau. On va les rencontrer sur une chaise, à côté. Et puis on se parle d’abord d’adulte à adulte, on prend des nouvelles.  Et, surtout, entendre le parent, les parents parler de leur enfant : « Votre enfant, parlez-moi de votre enfant… À votre avis, quelles sont les facilités de votre enfant, quelles sont les difficultés de votre enfant… Sur quoi il va falloir faire absolument attention cette année… Tout un tas de petites choses comme ça, qui font que le parent est en confiance. Il reviendra à l’école quand l’enseignante voudra le rencontrer. Prendre le temps de rencontrer tous les parents. »

 

La parole aux porte-voix des « sans voix » de la grande pauvreté

Alliées d’ATD Quart-Monde et membres de la MPM se sont exprimés en écho aux témoignages recueillis par Marie-Altet GRARD. (dans ce qui suit, les propos recueillis sont cités en italique pour les différencier des propos tenus par les différent intervenants de la soirée).

Sylvie commence avec Vincent : « Au moment de choisir les études après le Bac, s’ils veulent se diriger vers des études de médecine ou d’avocat, je veux que mes enfants aient l’opportunité de le faire, je veux qu’ils aient le choix.  Nous, on n’a pas eu le choix, on a dû choisir par le bas ». Puis elle poursuit avec Gwenaël, enseignant et militant syndicaliste : « En fait, il faudrait supprimer les SEGPA et que le collège fonctionne comme une SEGPA. En 4e et 3e, on fait des ateliers, on fait le travail de la main. Dans notre société, où on dit qu’il faut valoriser la voix professionnelle, ça sera du flan tant qu’on ne mettra pas de l’atelier dès le CP, dès la 6e, et pour tout le monde, et pas que pour les SEGPA. Marie-Aleth GRARD a plein d’élèves qui rêvent de se lever de leur chaise et d’aller faire des choses. Ce ne serait pas une baguette magique, mais au moins on aurait une autre vision de ces métiers manuels ».

Thomas porte la parole de Paulette, 63 ans, militante ATD Quart Monde : « ‘C’est avec ATD Quart Monde que j’ai appris à lire et à écrire, pas à l’école. Quand j’ai eu l’âge de rentrer au collège, j’y suis restée un peu et j’ai eu mon CAP de couture. Je ne sais même pas comment j’ai fait pour l’avoir, mais je l’ai eu. C’est vrai que quand j’aime quelque chose, je me donne à fond. J’aimais la poésie, et j’avais 20 sur 20 chaque fois en récitation, en poésie, et je pleurais quand il fallait repartir ».

Après avoir présenté sa façon de faire accueillir collectivement, à chaque rentrée, les parents par les élèves de sa classe, Annie est partie du récit de Raphaël : « Pourquoi je n’accrochais pas à l’école ? C’était parce qu’on m’obligeait à apprendre des choses que je ne voulais pas savoir ». Oui, renchérit Annie, « il faut partir des questionnements de ceux que l’école intéresse le moins, mais que la vie intéresse. Et alors la vie entre dans l’école ».

« Quand j’étais en 3e et que j’ai entendu le conseiller d’orientation m’envoyer en STI, j’ai eu l’impression que j’allais travailler pour la NASA… En fait, je me suis retrouvé sur une tourneuse-fraiseuse ». Dominique est partie, comme Sylvie, de cette autre citation de Vincent qui témoigne de son regard sur son parcours, sur ce qu’il faudrait changer dans l’école lorsqu’il suggère, avec le recul : « Mettre en place une vraie mixité sociale dans les écoles, mélanger les enfants d’horizons différents… et surtout, former les enseignants à la connaissance des enfants de milieux populaires pour mieux les comprendre, sortir des préjugés et de la discrimination ».

Ce qui a marqué Andrée, dans ces témoignages, « c’est la foi qu’ont ces personnes dans l’école : « J’aimais l’école parce que je pensais que le savoir était quelque chose d’important. Nous, on ne demande qu’à apprendre, qu’à travailler…  Si on veut que les choses changent à l’école, je ne vois qu’une chose :  dialoguer, dialoguer, dialoguer ... avec les enseignants, et avec les parents. Et pour que la rencontre puisse se faire, il faut qu’on arrive à porter un regard sur chacun. Et c’est l’enfant en difficulté, c’est l’enfant en souffrance qui me fait être enseignante ».

Place aux échanges avec les autres participants à la rencontre…… Propositions pour une école respectueuse de la dignité de tous les élèves

De l’école maternelle au collège… et au-delà

C’est une mère d’élève d’un quartier Politique de la Ville de Mulhouse qui prend la parole en premier : « Ce qui est écrit dans ce livre, ça touche vraiment chaque famille dans le moindre détail. Pas que les familles pauvres. À l’école maternelle, il faut d’abord apprendre à l’enfant à aimer l’école. Aimer l’école, ça veut dire aimer la vie par la suite… Un professeur peut emmener un enfant sur les nuages, comme il peut l’enterrer dans sa classe, tout simplement… L’orientation, à mon avis, il ne faut pas qu’elle s’arrête seulement à l’école ou à un certain âge… Il faut laisser la chance pour les enfants d’aller jusqu’au niveau secondaire… Je trouve que l’enfant, à 15 ou à 16 ans, a encore le droit d’être scolarisé normalement et de ne pas aller directement au travail. Ça ne lui laisse pas vraiment la chance de choisir de lui-même. Au collège, ce sont encore des enfants, et ne pas leur donner une vaste opportunité, c’est un petit peu dommage pour eux, à cet âge-là ».

Parmi les propositions d’ATD Quart Monde pour changer l’école et en faire un instrument d’inclusion de tous les élèves…

 Marie-Aleth GRARD reprend ce qui a déjà été dit sur l’absence de mixité sociale dans les écoles, sur la formation des enseignants au monde de la grande pauvreté, aux relations avec les parents. Elle met aussi en avant la formation des enseignants aux pédagogies qui permettent davantage la réussite de tous, comme les pédagogies de la coopération, la pédagogie différenciée, les pédagogies de projet.

Elle se prononce nettement en faveur du dispositif « plus de maîtres que de classes » à l’école primaire « parce que ça oblige les enseignants à travailler en équipe… Ce travail en équipe évite à l’enseignant de s’enfermer dans sa classe, de s’enfermer dans ce qu’il fait et dans sa manière de voir les enfants… Et l’enseignant supplémentaire va pouvoir venir regarder, observer dans votre classe, là où vous avez des difficultés avec des élèves ou des choses que vous ne voyez pas, et que lui va voir… va vous permettre d’aller en formation parce qu’il va pouvoir vous remplacer… Il va vous permettre d’aller observer dans la classe d’à côté ». (Un point de vue que ne partagent pas deux enseignants favorables au dédoublement des CP et des CE1 à 12 élèves par classe).

Que faire pour favoriser la mixité sociale dans les établissements scolaires ?

Pour Marie-Aleth GRARD, aucune disposition de type règlementaire ne sera jamais efficace car il y aura toujours des personnes qui connaissent et utilisent les codes pour les enfreindre. Pourtant, « C’est une richesse formidable de connaître des gens d’autres milieux sociaux. C’est une richesse formidable que d’apprendre à se connaître, à vivre ensemble. C’est ça qui fait qu’on est bien dans la ville, et partout, dans tous les quartiers. C’est à nous d’essayer de convaincre nos amis, nos enfants, de leur dire : il faut que vos enfants connaissent d’autres enfants, vous ne pouvez pas les cantonner à un milieu social… Jouer ensemble, développer son esprit critique ensemble, c’est essentiel… et qui va faire que notre démocratie ira mieux ».

Sur les relations parents/école

Comment faire pour que les parents se sentent légitimes et s’autorisent à parler de l’école avec leurs enfants et avec les enseignants ? Plusieurs propositions sont avancées sur la base de l’expérience professionnelle des intervenantes :

  • l’accueil inconditionnel de tous les parents, en prenant le temps de les rencontrer
  • l’invitation à participer à des sorties avec les élèves, en allant de préférence vers les parents les plus éloignés de l’école
  • les échanges entre parents, mais c’est très compliqué de les faire échanger entre eux sur l’école

« L’important, c’est de multiplier les formes, de diversifier le plus possible, parce que chaque parent est différent ; c’est la variété de ce qui est proposé qui va permettre à chaque parent de trouver son compte, peut-être aussi en classe, la mise en place de moments plus ou moins ritualisés pour permettre aux enfants de parler entre eux de l’école, de trouver les mots qui leur permettront ensuite d’en parler dans leur famille.

Sur la question de l’orientation des élèves et la recherche CIPES (Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation)

72 % des élèves de SEGPA sont issus de milieux défavorisés et, en fin de SEGPA, 37 % sont orientés vers un CAP très souvent non choisi et 63 % sortent sans inscription nulle part. Des chiffres qui interrogent… Besoin de comprendre.

D’où l’instauration de « croisements de savoirs » entre enseignants, chercheurs et militants ATD Quart Monde qui ont abouti à la mise en place de la recherche CIPES qui concerne 15 écoles (maternelles et élémentaires) un peu partout en France, avec des profils très différents, avec élaboration d’une charte (Cf le site de CIPES) et un comité de pilotage national. Chaque équipe d’école est accompagnée par un chercheur et un membre de l’AGSAS (Association des groupes de soutien au soutien) pour conduire des analyses de pratiques qui permettent de faire évoluer le regard des enseignants sur leur pratique). Des rencontres régulières en visio ont lieu 3 fois par trimestre.

C’est une recherche participative, c’est-à-dire menée avec des militants Quart Monde. « Et les militants voient des choses que les chercheurs ne voient absolument pas : nous n’avons pas le même parcours scolaire, donc nous ne voyons pas les mêmes choses. Et c’est là où cette recherche participative nous fait drôlement avancer ».

On peut s’abonner à la Lettre CIPES qui donne des informations sur cette recherche qui devrai aboutir dans 2 ou 3 ans.

Trace rédigée par Jean-Pierre Bourreau

à partir de l’enregistrement audio de la Rencontre-débat et avec relecture de Marie-Aleth Grard

 juin 2023