La MPM avec

Montessori : hors l'École... et dans  l'École ?

Rencontre-débat

vendredi 15 novembre à 18 h 30 au Campus de La Fonderie
16, rue de la Fonderie (Amphi 4)

 La pédagogie Montessori est depuis quelques années l’objet d’un véritable phénomène de mode en France. Cette mode alimente abondamment la littérature à destination des parents et des ensei-gnants.
Elle se traduit aussi par l’ouverture d’écoles privées dites "alternatives" (notamment dans la région mulhousienne) et par des pratiques différentes à l’école publique.
Cette mode n’est pas sans poser des questions ::

  • pourquoi un tel engouement ?
  • quel est le message qui plaît, aux parents et aux enseignants ?
  • est-ce que tout ce qui s’appelle "Montessori" est vraiment du Montessori ?
  • est-ce que cette mode pourrait répondre aux défis de l’école publique actuelle, ou n’est-ce qu’un leurre ?

Cette intervention a tenté de répondre à ces questions, en repartant de l’histoire de la pédagogie Montessori, de ses principes, et de son articulation possible à l’école pour tous.

Intervenante

Bérengère KOLLY, Maître de conférences, Université Paris-Est Créteil

Eléments bibliographiques

  • Bérengère Kolly : Montessori, l'esprit et la lettre. Hachette, collection "profession ensei-gnants", 2018
  • plus d'informations sur bkolly.com


Traces en mots de Jean-Pierre Bourreau

Concernant Maria Montessori, Bérengère Kolly articule en permanence les trois plans philosophique, historique et pratique. Son intervention s’est déroulée en deux temps, chronologiquement inversés.

Montessori aujourd’hui : Pourquoi un tel engouement ?

Dans l’école publique, depuis 2010 environ, on assiste à une modification des pratiques en maternelle :

  • la mise en place d’ateliers collectifs ;
  • l’introduction d’ateliers autonomes, individualisés dits Montessori ou de manipulation sensorielle (parfois très éloignés des pratiques montessoriennes strictes).

Cette évolution des pratiques en maternelle permet de répondre à des difficultés croissantes pour les enseignants :

  • les problèmes d’attention, de concentration ou d’hyperactivité des élèves, en lien avec la surexposition aux écrans ;
  • la gestion de l’hétérogénéité des publics, dont l’école maternelle a aussi pour mission de détecter certains troubles ;
  • une importance de plus en plus grande de l’écrit, source d’inégalités entre les élèves (Cf Bernard Lahire et le rapport scripturaire au savoir scolaire et la "pédagogie des fiches").

Ces facteurs font que, depuis une trentaine d’années, l’école maternelle a perdu une partie de sa richesse pédagogique. Dans ce contexte, Bérengère Kolly perle d’un « alignement de planètes » en faveur de la pédagogie Montessori, récemment accentué par l’arrivée et le succès médiatique de Céline Alvarez.

Du côté des écoles privées, le plus souvent hors contrat et coûteuses, on a peu d’informations sur ce qui s’y fait réellement, et on peut trouver de tout :

  • de véritables créations de pratiques autres, dans la tradition de l’Education nouvelle ;
  • des aubaines pour des parents peu regardants sur la qualité des pratiques.

Les explications de cet essor des écoles Montessori sont multiples et d’ordre  surtout sociétal :

  • la crise de l’école publique, qu’elle soit réelle ou fantasmée ;
  • l’inquiétude croissante des parents, largement exploitée par une marchandisation croissante des produits étiquetés Montessori.

Sans oublier d’autres ingrédients accélérateurs du succès actuel de Montessori :

  • le choix et les ambiguïtés du mouvement Montessori lui-même : il n’y a pas de label Montessori, ni de protection du nom : on vend sous le nom Montessori des produits qui ne sont pas Montessori ;
  • il n’y a pas d’inspection montessorienne pour juger de la qualité des pratiques ;
  • les écoles affiliées à l’"Association Montessori France" ont juste payé l’adhésion à l’AMF ; c’est l’AMI (Association Montessori Internationale) qui donne la légitimité par le biais des formations qu’elle organise pour les enseignants ;
  • le choix de ne pas prendre position sur les initiatives qui se réclament de Montessori.
  • Il n’existe donc aucune garantie que ce qui se prétend du Montessori soit vraiment du Montessori.

Les réticences de l’institution École sont de natures variées :

  • l’absence à peu près totale de formation à la pédagogie Montessori dans les INSPE et le recours à l’auto-formation dur Internet ;
  • dans l'école publique, les enseignants sont de plus en plus cadrés, alors qu’ils cherchent une bouffée d’air ; on observe donc un creusement du contraste entre les pédagogies alternatives (soucieuses de bienveillance, d’autonomie) et ce qui se passe dans le public (avec parfois le retour à des pratiques rétrogrades par souci supposé d’efficacité) ;
  • la machine médiatique et la marchandisation qui laissent croire qu’il suffit d’utiliser le matériel Montessori (ou apparenté) pour que les apprentissages se fassent.

Tout cela fait de la pédagogie Montessori une "pédagogie miracle" sensée résoudre tous les problèmes. Ce qui ne manque pas d’attiser les critiques et de susciter des crispations de la part de personnes qui pourraient être des alliés et apporter leur pierre à la construction d’une autre école.

Mais de quoi parle-t-on exactement quand on parle de Montessori ?

En fait, quand on parle de Montessori, on ne sait pas si on parle :

  • des textes ; mais lesquels ?
  • des pratiques ;? d’aujourd’hui ou d’hier ? "Correctes" ou adaptées ?
  • des positions personnelles, réelles ou supposées de Maria Montesssori ;
  • du mouvement Montessori ; mais à quelle période ?
  • des disciples : lesquels ?
  • de l’utilisation lucrative ou pédagogique de cette pédagogie ?

En réponse à une question du public, elle donne quelques éléments sur l’engouement pour Montessori plutôt que pour d’autres pédagogies dites alternatives :

  • le fait que cela se passe en maternelle : Montessori concerne essentiellement les enfants de 3 à 6 ans ; la maternelle française est beaucoup plus souple que le reste de l’élémentaire et il y a là une porte d’entrée pour la pédagogie Montessori ;
  • on peut aussi évoquer le caractère trouble de la période actuelle, qui incite à se raccrocher à des solutions miracles ;
  • la pédagogie Montessori se centre beaucoup sur la personne et sur l’individu, et cela parle dans une période de perte de crédit des idéologies : "Je peux faire quelque chose pour mon enfant".

Comment y voir un peu clair dans ce flou, dans ce que Bérengère Kolly appelle "une compote"?

Montessori dans l’histoire : Montessori et l’Éducation nouvelle

Bref historique de l’Education nouvelle

Bérengère Kolly fait remonter la naissance de l’Education nouvelle à 1848, avec la création de la revue « Education nouvelle, Journal des mères et des enfants », dans un contexte généralisé d’ouvertures d’écoles en rupture avec le modèle dominant, dans l’idée de faire autrement.

Un peu plus tard, s’engage un mouvement de réforme de la pédagogie à partir des sciences : c’est l’époque des « pédagogues médecins » (Dewey, Claparède, Korczak, Decroly, Montessori) qui jugent la pédagogie trop abstraite et qu’il faut s’appuyer sur les sciences pour connaître l’enfant réel : il s’agit de contrecarrer le dogmatisme de la pédagogie et l’autoritarisme de l’adulte (on parle de "pédotechnie" ou de "pédologie").

Survient le traumatisme de la première guerre mondiale. Certains pédagogues mettent l’école en cause et estiment qu’i faut faire autrement (Cf les 30 points définis par Adolphe Ferrière pour définir une école nouvelle). En 1921, création du LIEN (Ligue internationale pour l’éducation nouvelle) au congrès de Calais, avec la revue "Pour l’ère nouvelle" (qui existe toujours). D'autres pédagogues se lancent dans l’aventure : Steiner, Cousinet, Freinet, Neill… tous animés de l’envie de réformer l’éducation, avec des divergences nombreuses, mais avec cette conviction partagée que l’enfant possède des énergies créatrices, et qu’elles doivent être mises à profit par l’éducation. À partir de ma fo, des années 1920, cette approche que l’on peut qualifier de spiritualiste est concurrencée par une tendance plus politique, voie marxiste qui donne naissance, en 1929 au GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle) avec Langevin, Wallon, etc…

Et Montessori dans cette histoire-là ?

Elle est née en 1870. En 1907, elle ouvre sa première "Casa dei Bambini" (Maison des Enfants) à Rome, dans un quartier populaire et trois autres maisons en Italie. En 1909, elle écrit La pédagogie scientifique. En 1910, premier cours en Italie sur sa méthode, puis premier cours international en 1913 et à la fin de cette année, elle part pour un cycle de conférences aux Etats-Unis. En quelques années seulement, la carrière internationale de Maria Montesori est lancée.

La pédagogie Montessori est donc d’emblée internationalisée, ce qui suppose des adaptations nationales : au début des années 30, on dénombre une quinzaine de traductions des ouvrages de la pédagogue, la présence de sociétés montessoriennes dans 11 pays et des embryons dans 10 autres, ainsi que  la présence d’écoles Montessori dans 50 villes dans le Monde.

Cette pédagogie est très vite répliquée, installée dans des contextes différents.

 

Comment la pédagogie Montessori de diffuse-t-elle en France ?

Il n’existe pas d’association Montessori en France avant 1945. Avant cette date, la pédagogie Montessori se diffuse donc au travers de différents réseaux dont B. Kolly dresse une liste assez exhaustive :

  • l’Américaine Mary Cromwell, qui est considérée comme la première personne à avoir installé la pédagogie Montessori en France, en fournissant du matériel et en ouvrant un orphelinat ;
  • les réseaux religieux ou spiritualistes, notamment théosophiques (avec Jeanne Barère) ; des liens sont avérés entre la Société théosophique et Maria Montessori ;
  • des écoles catholiques mettent très tôt en place la pédagogie Montessori ;
  • des personnalités de l’Education nouvelle font également la promotion de la pédagogie Montessori ;
  • les Jardins d’enfants, qui intègrent la pédagogie Montessori  ;
  • les "Mères nouvelles" qui veulent élever leurs enfants autrement et qui ouvrent des colonies de vacances ;
  • dans l’école publique, l’inspecteur Paul Lapie rédige des préfaces pour les ouvrages de Montessori.

Tous ces réseaux se connaissent et ont des liens entre eux.

Après 1945, la diffusion de la pédagogie Montessori s’opère surtout dans les écoles catholiques.

Que peut-on retirer de ce survol ?

Nous sommes clairement dans une histoire de femmes, de petites mains et de praticiennes (dont il n’a pas été possible de rapporter tous les noms). Et les affinités et les conflits avec Montessori sont assez nettement genrées. Maria Montessori dit elle-même qu’une classe est un utérus.

Peut-être a-t-elle réussi à s’imposer parce qu’elle a su être intransigeante avec l’Éducation nouvelle. Elle est moins préoccupée d’idéologie et de politique que de pratiques et de résultats de celles-ci avec les enfants. L’idée est de partir du terrain et non de la théorie.

La plasticité de sa pédagogie permet à Maria Montessori d’épouser des cultures, des coutumes assez différentes. Ainsi, le 6 janvier, date de l’ouverture de la 1ère Casa dei Bambini est à la fois celle :

  • de l’Épiphanie, de la reconnaissance de l’enfant (culture chrétienne) ;
  • de la fête des enfants en Italie (culture populaire et sociale) ;
  • de l’ouverture de la 1ère école Montessori en Inde, qui est aussi une fête des enfants en Inde.

Maria Montessori a toujours affirmé qu’elle partait de l’enfant universel et réel, dont la potentialité se développe dans un environnement toujours situé, particulier. Dans cette pédagogie, il y a donc une tension entre ce qui peut potentiellement être universel, mais qui s’ancre toujours dans un singulier. D’où l’extrême diversité des écoles Montessori sur une base qui reste la même, mais pas dans les mêmes milieux sociaux : une pédagogie fondée sur une pensée de l’enfant, une pensée de l’adulte et un matériel précis. Mais il n’y a pas, au départ, de projet politique et social précis. Il y a donc une possibilité de s’approprier Montessori, tout ou partie, ou de l’interpréter à sa manière. Cela donne une force considérable à la pédagogie Montessori, avec des possibilités d’adaptation infinies.

Mais la grande faiblesse est la question politique. Montessori n’a eu aucun scrupule pour développer ses écoles en Italie entre 1924 et 1934, pendant la 1ère période de Mussolini. Car, tant que la dictature mussolinienne n’a pas touché au cœur montessorien des pratiques. Maria Montessori n’a pas vu où était le problème. Freinet a qualifié de suicide cette ambition d’extension de sa pédagogie par Montessori. On note donc là une faiblesse structurelle qu’elle assumera toute sa vie, en affirmant que la pédagogie ne doit pas être politique, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas faire rentrer des problèmes d’adultes dans des classes d’enfants. Pour Freud, dans "Malaise dans la civilisation", la question politique, pour l’enfant, c’est de lui permettre d’accéder au symbolique et à la culture, à la frustration aussi (savoir renoncer à certains désirs), intégrer l’interdit et avoir des compensations, des substituts pour éviter la névrose). La question politique c’est : comment faire entrer les enfants dans la culture, dans notre culture et dans notre monde ? Alors, il y a bien du politique aussi chez Montessori. Mais il y a aussi le choix de ne pas faire  d’éducation politique, de ne pas dire à l’avance ce que sera la société de demain. Montessori fait le choix de former la personne et affirme en 1932 que l’éducation politique et l’éducation à la paix sont un leurre : on n’éduque pas des enfants à la paix en leur disant que la guerre n’est pas bien. Ce que doit faire l’éducation, c’est construire des êtres humains forts en eux-mêmes, capables de résister au virus de la guerre ; il faut construire des êtres humains psychiquement sains.

Bérengère Kolly termine en revenant sur l’intitulé de la rencontre "Montessori hors l’Ecole… et dans l’Ecole ?"

On évoque souvent les mêmes obstacles :

  • le coût du matériel ;
  • les problèmes d’organisation liés au mélange des âges, à la possession du matériel (appartient-il à l’enseignant ou à l’établissement ?) ;
  • le problème de la formation des enseignants.

Pour Bérengère Kolly, tout cela ne sont là que des alibis ; si on voulait, on pourrait puisque ce ne sont que des obstacles matériels. En revanche, les obstacles théoriques sont plus compliqués :

  • la question de la liberté de l’enfant chez Montessori et la crainte du "bazar généralisé" ;
  • la considération de la personnalité de l’enfant : dans la pédagogie Montessori, on lie les savoirs et la construction de la personnalité : c’est une éducation globale, intégrale, y compris d’un point de vue psychique (à la fin de sa vie, Montessori s’est tournée vers les plus petits, de telle sorte que l’on peut parler d’une pédagogie pour les 0-6 ans) ; et l’école pour tous peut-elle le faire ? interroge B. Kolly. Car cela suppose de travailler aussi avec les parents ;
  • l’interrogation sur la place et le rôle de l’école : quelle école voulons-nous ?

Lors des échanges avec le public, plusieurs questions permettent de revenir sur certains points :

  • la question de l’absence de "label Montessori " : en fait Maria Montessori joue sur un double tableau : d’un côté, elle diffuse le plus possible sa pédagogie ; de l’autre, elle s’entoure d’un petit nombre de praticiens qu’elle adoube ;
  • la question de la centration sur la personne de l’enfant au détriment de la vie collective dans la classe : pour B. Kolly, dans une classe Montessori, il y a bien une forme de collectif par interactions constantes entre les élèves ; tout dépend de ce que l’on entend par "collectif" ;
  • un intervenant évoque l’intérêt de la pédagogie Montessori pour des enfants autistes ; ce qui permet à B. Kolly de rappeler que cette pédagogie a été créée avec des enfants déficients, et qu’elle favorise l’inclusion de ce public dans l’école ;
  • Montessori au-delà des 0-6 ans ? Il existe des écoles primaires Montessori, avec des formations et, plus récemment, des collèges : en Inde, on es allé jusqu’à un projet d’université. On y trouve beaucoup plus de collectif, d’activités par projets, des activités manuelles, artistiques, et des hybridations sont possibles avec d’autres pédagogies alternatives, comme Freinet ;
  • quelle place pour les nouvelles technologies ? Pour Montessori, l’intelligence c’est la main, et l’enfant doit toujours utiliser sa main quand il fait un travail abstrait.

Trace rédigée par Jean-Pierre Bourreau

 (membre du comité d’animation de la MPM)

 à partir de l’enregistrement audio de la rencontre-débat)

Traces en images de Jean-Marie Notter

  • Quelques photos de la soirée de jean-Marie Notter
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    Bérengère Kolly Montessori 15.11 (1)

    Bérengère Kolly Montessori 15.11 (2)

    Bérengère Kolly Montessori 15.11 (3)

    Bérengère Kolly Montessori 15.11 (4)

    Bérengère Kolly Montessori 15.11 (5)