La MPM avec

Conférence de Serge Boimare du 14 octobre 2019 au CSRA de Mulhouse

"Retrouver l’envie d’apprendre"

Et si l’école de la réussite pour tous passait par l’échange autour des mythes fondateurs? Ce que Serge BOIMARE appelle le « nourrissage culturel »

Les enseignants connaissent bien ces élèves qui font exprès de faite tomber leur stylo (quand ils en ont un), qui s'en prennent à leurs camarades, qui posent des questions "à côté de la plaque" ; bref, ils font tout pour se faire remarquer ! Ces élèves sont une source constante de préoccupations et d'interrogations pour celles et ceux qui cherchent par tous les moyens à les faire réussir. Souvent, hélas, sans grand succès.

Serge Boimare a côtoyé, tout au long de sa carrière (notamment au Centre médico psycho-pédagogique de Paris), ces élèves réfractaires aux apprentissages scolaires et à toute forme de soutien ou de remédiation. Il qualifie d'"empêchés de penser" ces jeunes qui, pourtant, ne sont atteints d'aucun trouble cognitif ou psychologique. Et il donne des éléments de compréhension de leurs comportements, précieux pour les enseignants.

Mais Serge Boimare va plus loin : il propose une démarche pédagogique qu'il a longuement expérimentée, fondée sur le "nourrissage culturel". Une démarche transposable dans les classes du 1er  et  du 2nd degrés qui permet, d'une part, aux élèves de "retrouver l'envie d'apprendre" et le chemin de la réussite scolaire et, d'autre part, aux enseignants d'intervenir dans des classes pacifiées et de retrouver le plaisir d'enseigner.

 Ouvrages de Serge BOIMARE

  • L'enfant et la peur d'apprendre, Dunod, 1999
  • Ces enfants empêchés de penser, Dunod, 2008
  • Pratiquer la psychopédagogie. Médiation, groupes et apprentissage, Dunod, 2010
  • La peur d'enseigner, Dunod, 2012
  • Retrouver l'envie d'apprendre. Comment en arriver à une école de la réussite pour tous ?
    Dunod, 2019

Trace de Thomas Choisy :

 Le public, venu fort nombreux (au point de remplir complètement la salle) est accueilli par un mot de bienvenue de Catherine Maresse, présidente du Crédit Mutuel enseignant de Mulhouse. Lui succède Jean-Pierre Bourreau, président de la Maison de la Pédagogie de Mulhouse, qui en quelques mots rappelle sa découverte du travail de Serge Boimare il y a dix ans, par la lecture de Ces enfants empêchés de penser. Serge Boimare, ancien directeur pédagogique et administratif du Centre médico-psychologique Claude Bernard à Paris, est un pédagogue au sens plein du terme : un praticien qui analyse et théorise sa pratique. Si l’on peut dire, il incarne le titre du dernier livre d’Olivier Maulini (professeur à l’Université de Genève) : Eduquer, entre engagement et lucidité. A partir de ces « élèves empêchés de penser », révélateurs des dysfonctionnements du système éducatif, Serge Boimare a créé une démarche pédagogique qui leur permet d’accéder à la réussite. Démarche également applicable à tous les autres élèves, et que vérifie Serge Boimare sur le terrain depuis quelques années dans un collège genevois.

Serge Boimare remercie tout d’abord pour leur invitation les organisateurs de cette soirée et exprime son plaisir de pouvoir échanger sur le sujet « retrouver l’envie d’apprendre ».

2 grandes questions :

Pourquoi des enfants n’arrivent-ils pas à accéder aux savoirs de base ? Quel programme de base peut-on créer pour qu’ils y arrivent ?

La réflexion de SB est issue de sa pratique pédagogique. Il a constaté ainsi que troubles du comportement et difficultés d’apprentissage étaient liés. Face à l’échec des méthodes psychothérapeutiques employées au Centre Claude Bernard, SB crée des groupes de soutien psychopédagogiques avec des ados décrocheurs. Ces élèves révèlent toujours les mêmes difficultés : beaucoup de mal à supporter le temps réflexif, le temps de l’approfondissement, et impossibilité d’accéder au stade du langage argumentaire (savoir questionner, prendre des exemples, etc.).

Ces deux difficultés en cachent d’autres : ces élèves ne savent pas écouter et ne montrent aucune curiosité en dehors de leurs préoccupations personnelles. Pour se protéger, ils mettent alors en place des stratégies, dont le fameux empêchement de penser.

L’apprentissage comporte cependant 4 contraintes incontournables: accepter qu’on ne sache pas, être capable d’attendre, être capable de se situer dans un cadre fait de règles précises et supporter un moment de solitude, de retour sur soi.

Pour se défendre, ces enfants ont des stratégies d’apprentissage appauvries qui ont en commun de gommer le temps réflexif : conformisme de pensée (faire et refaire ce qu’ils savent déjà faire), l’inhibition intellectuelle (ils passent alors pour « limités »), association immédiate et « virtuose », rigidité mentale (pour protéger un équilibre psychique précaire) rigidité souvent liée à la violence.

Tout cela résulte non d’un problème neurologique mais d’une insuffisance éducative dans deux domaines : l’initiation normale à la frustration et l’entraînement aux interactions langagières.

15 à 20% des élèves présentent ces difficultés d’apprentissage.

Avant de passer à la deuxième partie de son intervention, SB invite le public à poser des questions sur ce qui a été dit. Deux questions sont posées par des auditrices, sur le sujet de la frustration. En réponse à la première, SB souligne que l’apprentissage de la frustration se fait dans les premiers mois de la vie. Il est par ailleurs d’accord avec la formulation « initiation à la vie rythmée » suggérée par la deuxième auditrice.

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2ème partie : Que peut-on mettre en place comme stratégies pour un retour aux apprentissages ? Comment remettre en route la « machine à penser » ?

Par deux points d’appui.

  1. Donner un apport (un nourrissage) culturel intensif pour sécuriser et enrichir les représentations intérieures des enfants, lorsqu’ils réfléchissent.

SB a ainsi découvert qu’en lisant aux enfants des contes de Grimm, cela les aidait à faire un retour au fonctionnement intellectuel. Il propose aux enseignants d’instituer quotidiennement une heure de « médiation culturelle » (qui s’appuie sur les programmes scolaires), au tout début de la journée. Cette heure comporte 10 minutes de lecture à haute voix (par l’enseignant) de récits fondateurs de notre patrimoine culturel (contes, récits mythologiques, fables, textes fondateurs des religions).

  1. L’entraînement à l’expression, par l’intermédiaire du débat. Exemple : après la lecture de Pinocchio, poser la question « est-ce qu’une bonne action doit toujours être récompensée ? » Avant le débat proprement dit, chacun réfléchit à son propre point de vue au cours d’une minute de silence. 2ème étape : faire connaître son point de vue au groupe. 3ème étape : la confrontation des points de vue. Tout cela permet un retour à la pensée.

Ce protocole n’est pas seulement valable pour les élèves en difficulté, il est aussi stimulant pour les meilleurs élèves. La connaissance des textes fondateurs et l’apprentissage de l’expression argumentée sont deux points figurant aux programmes scolaires. Savoir lire un récit fondateur à haute voix et organiser un débat en classe demande un certain entraînement à l’enseignant, mais pas dans une proportion excessive.

Depuis 2 ans, SB et Alain Bentolila ont été sollicités par le ministère de l’Education Nationale pour mettre ce protocole à disposition des enseignants travaillant dans les prisons. Une centaine de professeurs ont déjà été ainsi formés et y ont trouvé un grand secours dans leur pratique face à des élèves qui les rendaient souvent démunis. On a même constaté que les débats se prolongeaient souvent dans les cellules. Ce retour à la pensée permettrait aussi d’estomper les phénomènes de radicalisation présents dans le milieu carcéral.

Pour conclure, SB invite les enseignants présents à la vigilance. En effet, être au contact d’élèves empêchés de penser peut être contagieux à la longue, les élèves eux-mêmes arrivant à mettre leur professeur en empêchement de penser.

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3 questions du public.

  1. Ce protocole serait-il trop rigide pour les élèves? SB pensait au début qu’il serait trop rigide pour les professeurs, mais il s’est aperçu avec le temps que c’était un tremplin pour leur créativité, leur permettant ainsi d’aborder divers domaines (théâtre, cinéma, langues vivantes…). Un groupe de professeurs de la région parisienne a même réécrit Le tour du monde en 80 jours (avec Passepartout comme personnage principal). Protocole rigide pour les enfants ? Ecouter une lecture à haute voix est quelque chose de facile. L’exercice du débat argumenté, quant à lui, est sans doute très codifié au début, mais finit toujours par intéresser les élèves. Et un sablier peut les aider à supporter, au début, la minute réflexive.
  2. Les enfants s’empêchent-ils de penser eux-mêmes ? Oui, car l’exercice de la pensée déstabilisant leur équilibre psychique, ils mettent en place (inconsciemment) des stratégies pour se protéger. SB ne croit pas que ces élèves empêchés de penser relèvent du cas médical.
  3. Quelle chronologie adopter dans la lecture des récits (mythologiques ou culturels) ? SB préconise de commencer avec des récits mettant en scène les grandes angoisses humaines, les contes de Grimm par exemple. Ensuite on lira des récits mythologiques, qui posent les interrogations fondamentales sur nos origines. Dans un troisième temps interviennent des récits plus courts, des fables, des épopées… ou encore des romans initiatiques.

Ainsi se conclut l’exposé de Serge Boimare.

Catherine Maresse puis Jean-Pierre Bourreau remercient Serge Boimare pour son intervention.

Trace réalisée par Thomas Choisy, membre du CA de la Maison de la Pédagogie de Mulhouse

 

 

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