Un collège révolutionnaire au sein de l'Éducation nationale, en 2020, c'est possible ! "

Photos Jean-Marie Notter

Rencontre

mardi 2 octobre 2018 à 18 h 30 au Lycée Roosevelt à Mulhouse

Un collège optimal

Le Collège est considéré comme le "maillon faible" de notre système éducatif. Les réformes se sont succédées sans y remédier. Trop d’élèves s’ennuient, voire décrochent, pendant que la violence s’installe et que les harcèlements se multiplient. Et combien de jeunes quittent le collège sans maîtriser les savoirs essentiels pour comprendre le monde, la société dans laquelle ils vivent, leur époque ou eux-mêmes ?

Pourtant, d’autres pratiques existent en France et dans le Monde ; elles ont montré leur efficacité. Depuis 15 ans, Jérôme Saltet et André Giordan ont pratiqué la veille pédagogique permanente. Ils ont recensé, observé, évalué d’autres expériences pédagogiques, d’autres organisations et d’autres programmes possibles. Ils ont accompagné plusieurs établissements innovants en Europe. Un projet concret en est ressorti : programme, progression, emploi du temps, lieux d’études et lieux de vie, formation des personnels et gouvernance sont repensés.

En septembre 2020, un collège s’inspirant de ce projet verra le jour, au sein de l’Education nationale, à Mantes-la-Jolie, dans le quartier du Val Fourré.

Le collège optimal pour les futurs citoyens du XXIe siècle est en marche ! 

Intervenant : Jérôme SALTET

  • co-auteur, avec André Giordan, de plusieurs ouvrages dont "Changer le collège, c'est possible"
  • engagé dans de nombreuses initiatives visant à changer l'éducation ; en particulier, il est partenaire du réseau Ashoka pour l'identification des écoles innovantes et à ce titre, a participé au film "Une idée folle" présenté par la MPM au cinéma Bel Air en janvier dernier
  • co-fondateur de Play Bac et co-inventeur des Incollables, l'un des jeux éducatifs les plus vendus dans le monde à près de 50 millions d'exemplaires et de Mon quotidien, premier journal quotidien pour enfants en Europe

Repères bibliographiques (ouvrages avec André Giordan)

  • Changer le Collège, c’est possible, Ed Play Bac
  • Apprendre à apprendre, Librio

Le compte rendu de Thomas Choisy

Rencontre avec Jérôme Saltet, le mardi 2 octobre 2018 au Lycée Roosevelt à Mulhouse :

Un collège révolutionnaire au sein de l'Éducation nationale, en 2020, c'est possible !

Pour introduire cette rencontre, Nicole Poteaux, membre du CA de la Maison de la pédagogie de Mulhouse et professeure émérite des sciences de l’éducation à l’Université de Strasbourg, souligne que cette rencontre avec Jérôme Saltet a pour objectif de montrer les réalisations concrètes de l’innovation pédagogique, tout comme les autres rencontres de la MPM de ce trimestre.

Qui est Jérôme Saltet ? Editeur, entre autres cofondateur des éditions Playbac, de la série Les incollables ou bien de quotidiens destinés aux jeunes lecteurs, il a aussi tenté l’expérience de repasser le baccalauréat en 2006.

Dès le début de son intervention, Jérôme Saltet invite le public à l’interrompre s’il l’estime nécessaire.

L’entreprise Playbac est placée sous le signe du changement en matière d’éducation. Depuis plus de 30 ans, elle a produit de nombreux outils en ce domaine, tels que la trousse à projets. Il y a une quinzaine d’années, en compagnie d’André Giordan (avec lequel il a écrit un certain nombre de livres), Jérôme Saltet s’est dit qu’il fallait incarner cette innovation dans un projet ambitieux : un collège révolutionnaire.

Le changement… vaste, très vaste sujet, dans l’Education nationale (et au-delà). Le changement n’est pas l’innovation : on peut innover sans rien changer (par exemple utiliser un outil numérique dernier cri tout en adoptant une pédagogie traditionnelle). Pourquoi le changement ? Parce que le monde va mal. On ne peut certes pas tout demander à l’école, mais on a besoin d’une école à la hauteur des enjeux du monde tel qu’il est. Citons la phrase de Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante que vous puissiez utiliser pour changer le monde », et l’ouvrage d’Edgar Morin, Enseigner à vivre (dont a été tiré le film Enseignez à vivre !, présenté début 2017 par la MPM). Par ailleurs, le changement est nécessaire car l’école échoue à réduire les inégalités, pourtant une de ses missions essentielles. Le coût du décrochage scolaire représenterait ainsi l’effrayante somme de 50 milliards d’euros par an. Cela dit, tout ne va pas si mal dans l’école : il y aurait à peu près 20% d’élèves heureux, 20% malheureux et 60% qui ne sont ni l’un ni l’autre.

 

Changer, oui, mais comment ? Au début, Jérôme Saltet et André Giordan ont beaucoup réfléchi mais sans arriver à rien… jusqu’à ce qu’ils se posent une question : peut-on dire quel est l’objectif de l’école ? En général, seuls 10% des enseignants sont en mesure de le formuler. Quelques interventions dans le public, pour tenter de répondre à cette question, montrent qu’il y a autant de projets valables que d’objectifs. Au cours de l’élaboration de cet objectif, un texte d’un Sud-Africain rescapé d’un camp de concentration, a permis d’orienter la réflexion de Jérôme Saltet et d’André Giordan. Ce texte (diapositives ci-contre) dans la présentation de Jérôme Saltet lui-même, (voir la totalité de la présentation), se conclut par une belle supplique : « Aidez vos élèves à devenir humain. Vos efforts ne doivent jamais produire des monstres instruits, des psychopathes qualifiés ou un Eichmann éduqué. » L’éducation peut donc avoir des buts condamnables, hélas… Par ailleurs, sommes-nous tous d’accord sur les mots utilisés pour décrire l’objectif de l’école (instruction, transmission, et cetera) ? Que met-on derrière ces mots ? Cette question cruciale a fait l’objet de plusieurs ateliers animés par Jérôme Saltet et André Giordan. Parmi tous les objectifs possibles, fixons-en un : former des citoyens autonomes, responsables, entreprenants… et heureux ! Puis sacralisons l’objectif et désacralisons les moyens, c’est-à-dire ne touchons plus à l’objectif et subordonnons-y les moyens, qui, eux, peuvent être interchangeables : programmes, emplois du temps, locaux, matériels, rôle de l’enseignant…, on peut tout changer ! Ainsi dans les écoles inspirées de la pédagogie de Sudbury Valley (Etats-Unis), où les élèves font ce qu’ils veulent (cf Libre pour apprendre, de Peter Gray). L’évaluation, quant à elle, est-elle un objectif (comme aux Etats-Unis) ou un moyen ? Ne sacralisons pas les corrections de copies, qui pèsent parfois bien lourd dans ce métier chronophage qu’est l’enseignement. Une intervenante fait remarquer que la correction de copies peut néanmoins être un moment de dialogue à distance avec les élèves, que le correcteur visualise.

 

Quelle est l’approche de Jérôme Saltet et André Giordan ? S’affranchir des chapelles et des polémiques, travailler avec le système (Education nationale) et non contre, contribuer positivement, utiliser les moyens autrement plutôt qu’utiliser plus de moyens, et penser « global » mais pas « idéal », « résolution de problèmes » mais pas « baguette magique ». Bref, ne pas inventer l’école idéale, mais ne pas non plus se limiter au « collège sans notes » ou au « collège numérique ».

Ouvrir ce collège en septembre 2020 à Mantes-la-Jolie : comment y arriver ? Il faut que trois planètes soient alignées : le ministre de l’Education nationale, l’académie et le département. L’élément déclencheur est survenu il y a trois ans, face au constat suivant : le quartier du Val Fourré compte 25 000 habitants, 2 collèges REP+ avec bon nombre d’élèves en difficulté. Le président du département des Yvelines a alors pris la décision (avec le conseil départemental) de fermer ces deux collèges pour les remplacer par le type de collège décrit dans le livre Changer le collège, c’est possible. Il a obtenu l’accord du recteur. Fallait-il alors, une fois l’endroit trouvé pour l’établissement, se contenter d’appliquer le contenu du livre ? Non, car les choses ne sont pas aussi simples. Jérôme Saltet et André Giordan ont alors « désossé » le livre, puis, avec cette substance essentielle, formé les deux équipes pédagogiques des deux collèges déjà existants.

Quid de l’architecture du futur collège ? Il est indispensable de la mettre au service de la pédagogie. L’architecte Rudy Ricciotti a donc rencontré les équipes pédagogiques pour que cet objectif soit réalisé. Ici, Jérôme Saltet diffuse au public une vidéo de présentation des bâtiments du futur collège, produite par le département des Yvelines. Moment d’étonnement et de questionnement parmi le public… On constate en effet que l’architecte a ignoré l’inspiration pédagogique dans son projet… dans le seul but d’obtenir le marché de la construction. Après protestations de Jérôme Saltet, le projet a été repensé.

Revenons à l’objectif : Former des citoyens autonomes, responsables, entreprenants… et heureux. Pour y parvenir, le futur collège sera le collège du socle (socle commun de connaissances, de compétences et de culture), c’est-à-dire que son programme d’études se basera uniquement sur le socle commun. Savoir, savoir-faire, savoir-être et savoir-apprendre y auront une importance égale. Le collège sera notamment très en pointe sur « apprendre à apprendre ».

Il sera le collège de la différenciation : chaque élève y évoluera à son rythme. Le collège se parcourra en 3, 4 ou 5 ans. Les classes disparaîtront au profit de groupes de référence multi-âge. Les enseignants, quant à eux, seront des professionnels de l’accompagnement de l’élève avant d’être des héros de leur matière. Ils travailleront en équipe, avec l’ensemble des personnels du collège. Ils effectueront la totalité de leur service au sein de l’établissement.

Le collège sera celui du désir d’apprendre. Pour ce faire, plus de cours d’une heure mais des modules adaptés à l’objectif poursuivi, et des ateliers, des séminaires et des conférences. Plus de notes, mais une évaluation positive. L’élève y sera auteur de ses apprentissages.

Ce sera le collège du positif, où l’effort sera valorisé et l’erreur ne sera pas diabolisée. On y mettra en place une approche de la démocratie (qui est quelque chose qui s’apprend) et le développement durable sera au cœur de la pédagogie.

Le numérique y aura une bonne place, tout en sachant qu’il n’est qu’un moyen au service de l’objectif principal.

Quel est le public de ce futur collège, le « territoire apprenant » ? 42 % des enfants du quartier du Val Fourré sont considérés comme vulnérables et nécessitant un soutien scolaire. 75 % de la population est sans diplôme ou possède un diplôme inférieur au baccalauréat (chiffre de 2010). 35 % des jeunes entre 18 et 24 ans sont non scolarisés et sans diplôme. Il est donc d’une grande utilité d’associer, dans la mise en place du futur collège, tous les acteurs de ce territoire apprenant : éducateurs, entrepreneurs, et cetera.

Il y a tout de même des obstacles à ce grand et beau projet… Ainsi le pouvoir de dire « non » (de la part des autorités institutionnelles), le temps (et la dictature des programmes), une hostilité naturelle au changement qui peut occasionner des blocages (de la part des parents, des élèves, des enseignants, de la direction, de l’institution et des syndicats), la solitude également, la non-culture du changement et de l’échec, et enfin l’absence d’une vraie « recherche et développement ».

Jérôme Saltet termine son intervention par une référence bibliographique et trois citations en lien avec ce projet de collège révolutionnaire.

Changez l’école (Ken Robinson, éditions playBac)

« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants mais peu d’entre elles s’en souviennent » (Saint-Exupéry).

« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » (Gandhi).

 « Ce n’est qu’au prix d’une ardente patience que nous pourrons conquérir la cité splendide qui donnera la lumière, la justice et la dignité à tous les hommes. Ainsi, la poésie n’aura pas chanté en vain ». (Arthur Rimbaud, repris par Pablo Neruda).

 

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Débutent à présent les questions du public.

A une première question sur le recrutement des enseignants du futur collège, Jérôme Saltet répond que 100 % sont volontaires et que leur poste ne sera pas un poste à profil (selon la terminologie de l’Education nationale), mais un poste classique.

- Quel est le lien entre le film documentaire Une idée folle (diffusé par la Maison de la pédagogie lors d’un ciné-débat, début 2017) et le projet du collège révolutionnaire ?

→ Le film est arrivé après la naissance du projet. Par ailleurs, des participants du film (dont ceux de l’école de Trébédan, en Bretagne) vont participer à la formation des futurs enseignants du collège, l’idée étant de faire partager les formidables réalisations déjà accomplies en matière d’école.

 

- Quid du personnel de direction et des CPE ?

→ Ils seront membres de l’équipe éducative.

- Les élèves seront auteurs… les enseignants et les syndicats le seront-ils aussi ?

→ Oui, les équipes éducatives seront formées dans cet esprit (où l’essentiel est de ne pas subir) avant l’ouverture du collège. Le statut de l’enseignant, dans ses déclinaisons diverses, sera respecté, pour assurer de bonnes relations avec les syndicats.

- Peut-on rêver d’un collège révolutionnaire à Mulhouse ?

→ Oui… On peut par exemple créer un collège de ce genre dans un bâtiment déjà existant. On peut imaginer que les élèves y travailleront en effectifs variables, et non dans des structures « classe ». Quant à la pression démographique (qui concerne la population collégienne locale), c’est au département de prendre en charge cette question en créant un nouvel établissement.

- Comment fonctionnera l’emploi du temps au futur collège du Val Fourré ?

→ C’est un aspect majeur du projet. Le maître-mot dans ce domaine sera la souplesse. Ce sont les enseignants qui décideront ; les formes d’enseignement seront à géométrie variable.

- Quel sera le nombre d’heures d’enseignement ? Y aura-t-il un nombre d’heure commun à tous ?

→ Il faudra établir des amplitudes horaires standard raisonnables. L’essentiel est que les missions d’enseignement soient réalisées.

 

Puis, en réponse à quelques questions à la thématique proche, Jérome Saltet insiste sur la nécessité pour les enseignants de travailler ensemble, de concevoir une vision commune (par exemple celle d’un établissement révolutionnaire) ; la base étant la motivation de travailler en équipe. Le projet d’un établissement révolutionnaire doit être global, donc tout intégrer.

- Quid de la pédagogie du futur collège ?

→ Cette pédagogie est déjà pensée, et couchée sur le papier dans Changer le collège, c’est possible. Mais peut-on savoir avec certitude si elle est tout à fait transposable dans la réalité de ce futur établissement ?

- Comment ce collège du socle sera réalisable ?

→ En décloisonnant les disciplines. Il faut penser « compétences » (comme dans le socle) et non « matières ».

 

« On doit rêver d’un collège révolutionnaire à Mulhouse » : c’est par ces mots que Jean-Pierre Bourreau, président de la Maison de la pédagogie, conclut cette soirée.

 

Rencontre retranscrite par Thomas Choisy, membre du CA de la Maison de la pédagogie.