En partenariat avec le

Les neurosciences au service de la pédagogie : mythe ou réalité ?

 

Conférence

Lundi 15 octobre 2018 à 19 h au Centre Sportif Régional d’Alsace à Mulhouse

 

Un regard lucide et documenté sur les relations entre sciences et pratiques

La neuropédagogie suscite souvent crainte et méfiance de la part des enseignants, mais aussi des parents. Va-t-on réduire les capacités de nos chers enfants à des photographies des zones de leur cerveau qui s'activeraient plus ou moins selon les individus ?
Ȧ l'opposé, il y a celles et ceux qui pensent que les neurosciences vont permettre aux enseignants d'être plus efficaces dans le traitement des difficultés d'apprentissage de leurs élèves.
Loin des jugements simplistes et réducteurs, cette conférence vise à porter un regard lucide et solidement documenté sur les relations possibles entre neurosciences et pédagogie :

  • que nous disent les neurosciences de la pertinence de notions telles que les "profils d’apprentissage" ou d’affirmations comme "tout se joue avant 6 ans " ?
  • que nous apprennent-elles dans la compréhension des processus d’apprentissage, par exemple dans les domaines de l’attention, de la mémorisation et de la compréhension ?
  • au-delà de ces apports théoriques, les neurosciences et les sciences cognitives permettent-elles de contribuer à faire évoluer les pratiques pédagogiques afin que chaque élève puisse avoir prise sur ses apprentissages et sa réussite ?

Avec Nicole Bouin

Intervenante : Nicole Bouin, enseignante, formatrice dans différents domaines de la prise en charge de la difficulté scolaire et auteure d’un récent ouvrage "Enseigner : apports des sciences cognitives" (CANOPÉ, Avril 2018).

Éléments de bibliographie

  • Sylvie Berthoz et Silvia Krauth-Gruber, La face cachée des émotions, Éditions Le Pommier, 2011
  • Jean-Philippe Lachaux, Le cerveau funambule, comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences, Odile Jacob, 2015
  • Jean-Philippe Lachaux, Les petites bulles de l'attention - Se concentrer dans un monde de distractions, Odile Jacob, 2016
  • Francis Eustache et Bérengère Guillery-Girard, La neuroéducation - La mémoire au cœur des apprentissages, Odile Jacob, 2016
  • Pascale Toscani , Les neurosciences de l'éducation - De la théorie à la pratique en classe, Chronique sociale, 2017
  • Olivier Houdé, Apprendre à résister, Éditions Le Pommier, 2017
  • Julien Masson, Bienveillance et réussite scolaire, Dunod, 2018

Des ouvrages ressources autour des neurosciences (dont celui de l'intervenante) seront mis à disposition du public par L'Atelier CANOPÉ du Haut-Rhin.

 Le compte rendu

Les neurosciences au service de la pédagogie :

mythe ou réalité ?

Intervenante : Nicole Bouin

Lundi 15 octobre 2018 à 19 h

 

Nicole Bouin : 40 ans d’enseignement comme professeure de lettres-histoire dans un lycée professionnel dynamique de Lyon, 20 ans au titre de la formation des enseignants dans différents domaines liés à la prise en charge de la difficulté scolaire, militante de longue date aux Cahiers Pédagogiques, très impliquée dans des associations s’intéressant aux enfants porteurs de troubles des apprentissages, auteure de l’ouvrage  Enseigner : les apports des sciences cognitives, publié en avril 2018 chez Canopé… mais aussi un tempérament dont le punch n’a laissé indifférente aucune des 75 à 80 personnes réunies dans la salle du Centre sportif de l’Illberg.

Le diaporama
de la conférence
du 15 octobre 2018


Autres diaporamas

Pendant une bonne heure un quart, Nicole Bouin, le verbe haut et constamment en mouvement, s’est appuyée sur un diaporama très riche d’informations, dont elle a parfois été obligée de sauter par-dessus certaines étapes. Les lignes qui suivent ne cherchent pas à retracer l’intégralité de l’intervention. Elles sont plutôt une invitation à se reporter aux diapositives (liens ci-contre).

Sciences cognitives, neurosciences, neuro-éducation : de quoi parle-t-on exactement ?

Les sciences cognitives recouvrent un domaine très vaste de la recherche qui s’intéresse à tout ce qui permet les apprentissages et qui touche de nombreuses branches scientifiques.

Parmi elles, les neurosciences sont les plus proches des sciences dites « dures » puisqu’elles ont recours à la chimie et la biologie. Pour l’enseignant, ces neurosciences n’ont d’intérêt que si elles sont adossées à la psychologie cognitive.

Pour Steve Masson, titulaire de la chaire de neuro-éducation au Québec, la neuro-éducation se résume dans cette formule : « mieux connaître le cerveau pour mieux enseigner ».

Nicole Bouin préfère parler d’évolution plutôt que de révolution cognitive car on peut faire remonter les neurosciences à la fin du XIXe siècle, en 1899, avec la mention, par William James, de la plasticité cérébrale.

Qu’est-ce qu’un « neuromythe » ?

C’est une croyance infondée scientifiquement sur le cerveau. Elle peut provenir d’un fait scientifique dépassé, d’une simplification excessive ou d’une généralisation erronée. Mais ce peut être aussi une constatation de terrain qui n’est pas avérée scientifiquement. Et Nicole Bouin d’ajouter : « Ça n’est pas parce que ça n’est pas avéré scientifiquement que ça n’existe pas ». Selon elle, certains d’entre eux peuvent même rendre de grands services sur le terrain pédagogique. Quelques exemples :

  • le profil d’apprentissage (ou la « personnalité cognitive », pour Yves Lecocq) n’a pas de fondement scientifique, mais peut se révéler fort utile en gestion mentale (Cf le diaporama de Nicole Bouin sur « Gestion mentale et neurosciences ») ;
  • la séparation des fonctions entre hémisphère droit et hémisphère gauche du cerveau : sur le plan physique, les deux hémisphères sont en constante communication entre eux par le corps calleux, et la plupart de nos activités intellectuelles concernent des réseaux situés dans les deux hémisphères ;
  • la « brain gym » (par exemple, se toucher le pied droit avec le coude gauche, et inversement) n’a qu’un intérêt commercial ;
  • « tout se joue avant 6 ans » : il y a effectivement des moments où certains apprentissages seraient plus faciles, mais il ne faut pas en conclure que ces apprentissages ne sont pas possibles plus tard ;
  • les intelligences multiples : la notion suppose que ces intelligences sont indépendantes les unes des autres, alors que les mêmes capacités, les mêmes compétences peuvent nourrir plusieurs formes d’intelligence ; de plus, on court le risque d’enfermer les élèves dans des limites qu’ils ne pourraient pas repousser. Howard Gardner lui-même admet de sérieuses réserves sur sa « théorie ». Ce qui n’empêche pas Nicole Bouin de rappeler que ce neuromythe peut avoir de réelles vertus pédagogiques, par exemple pour encourager les enseignants à varier leur mode de fonctionnement ou à s’appuyer sur le goût de l’élève pour telle discipline.

Quels liens possibles entre les neurosciences et la pédagogie ?

Nicole Bouin distingue 3 cas de figures :

  • beaucoup de résultats de recherches confirment les intuitions des pédagogues. Par exemple, les effets de la bienveillance sur les apprentissages : la mesure du taux de cortisol dans des contextes scolaires variés permet de valider scientifiquement ce qui n’est, au départ, qu’un principe éthique (surtout quand on connaît les effets néfastes d’un taux de cortisol élevé dans le cerveau) ;
  • les recherches scientifiques qui ont carrément invalidé des pratiques pédagogiques :
    • on a longtemps dit que l’apprentissage d’une langue étrangère avant le collège gênait l’apprentissage de la langue maternelle. On sait aujourd’hui que non seulement cela n’est pas vrai, mais que l’apprentissage précoce d’une langue étrangère permet le développement de capacités qui sont précieuses pour tous les apprentissages ;
    • il en va de même pour les émotions, dont la place est aujourd’hui reconnue et prise en compte dans les apprentissages, alors qu’on a longtemps considéré qu’elles n’avaient rien à voir avec les apprentissages ;
  • les recherches qui ouvrent des pistes pour les enseignants :
    • la plasticité cérébrale : quelle que soit l’activité, notre cerveau évolue, s’adapte en permanence ;
    • les neurosciences permettent de mieux comprendre l’origine, les manifestations, les pistes de remédiation concernant les troubles neuro-développementaux que sont les troubles « dys » ;
    • les « neurones-miroirs » permettent de constater que les mêmes réseaux neuronaux s’activent, quand on regarde quelqu’un faire un geste ou quand on imagine ce geste, aussi bien que quand on le fait soi-même… ce qui peut réhabiliter la pédagogie de l’imitation ;
    • le « réseau par défaut » : c’est ce qui se passe dans le cerveau quand on ne fait rien : le cerveau développe alors des compétences transversales indispensables pour plus tard, quand le cerveau sera sollicité ; en sachant bien que laisser son cerveau inoccupé n’est pas quelque chose de courant chez les jeunes de l’ère du numérique. Et pourtant…

Et Nicole Bouin de poursuivre, mêlant expérience personnelle et recherches scientifiques… À chaque fois qu’on informe les élèves sur le fonctionnement de leur cerveau, quand on leur permet de passer d’une conception fixiste à une conception dynamique de l’intelligence, on les motive et on les rend meilleurs, y compris à l’école primaire, en calcul et en écriture.

Quelques notions de base sur les neurosciences

NB du greffier de service : Pour une meilleure compréhension des notions qui suivent, il est recommandé de se reporter au diaporama de Nicole Bouin et aux nombreux sites et documents vidéo qu’elle mentionne.

Le principe de la localisation cérébrale 

Certaines parties du cerveau assurent plus particulièrement certaines fonctions ; en gros, le cerveau mûrit de l’arrière vers l’avant, du plus simple au plus complexe : à l’arrière, on a les fonctions primaires perceptives, et plus on va vers l’avant, plus on a des fonctions complexes et sophistiquées pour arriver, au niveau du lobe frontal au cortex préfrontal, avec les fonctions de haut niveau que sont les fonctions exécutives (ce sont surtout ces fonctions qui manquent chez les « dys », quel que soit le potentiel intellectuel). Il importe donc de ne pas demander à un élève quelque chose qui ne correspondrait pas au niveau de développement des fonctions de son cerveau.

Les fonctions exécutives du cerveau:

Les sciences cognitives s’intéressent de plus en plus à ces fonctions, telles que la planification dans le temps, l’organisation dans l’espace, l’utilisation de l’attention divisée, l’inhibition (en sciences cognitives, c’est la capacité à prendre conscience qu’on est en train de se tromper et de la nécessité de s’engager sur une autre voie).

Le principe de la communication neuronale :

La myéline est ce qui entoure l’axone (le « câble » qui relie les neurones) et qui va faire que les informations (le « courant ») passe mieux entre les neurones.

(Ici, conformément aux recommandations de Steve Masson, Nicole Bouin soumet à l’assistance un petit exercice de réactualisation des notions qui viennent d’être présentées).

L’attention

Il y a 3 phases dans l’attention :

  • une phase d’alerte, spontanée ou volontaire ;
  • l’orientation : c’est la focalisation sur ce que je dois faire et l’inhibition des distracteurs qui sont autour ;
  • le maintien de l’attention sur la durée, en continuant d’éloigner les distracteurs pour rester concentré sur ce qu’on est en train de faire.

Pour Jean-Philippe Lachaux, l’attention est un processus de sélection de réseau de neurones sur un sujet particulier ; c’est un processus réflexe ou volontaire. En fait, il existe plusieurs sortes d’attentions, et il est possible d’aider les élèves à en prendre conscience (par exemple, avec la métaphore de la poutre (cf vidéo dans le diaporama).

Selon Jean-Philippe Lachaux, la concentration n’est pas une notion scientifique : elle diffère de l’attention à la fois sur le plan quantitatif (c’est un phénomène de plus longue durée) et sur le plan qualitatif (la concentration débouche en général sur une production).

Jean-Philippe Lachaux est favorable à la mise en place de séquences dédiées à un apprentissage de l’attention avec les élèves, dans lesquelles il s’agit d’aligner en permanence l’attention avec l’intention. Formation qui suppose à la fois une connaissance du fonctionnement du cerveau et un entraînement progressif.

L’attention et la double tâche : Les élèves prétendent souvent être capables d’effectuer deux tâches en même temps (par exemple, être attentif au cours du prof et consulter ses mails). En réalité, ce n’est possible que si l’une d’elles est totalement automatisée.

Comme pour l’addiction, l’intérêt des neurosciences est de comprendre les phénomènes sans culpabiliser les jeunes.

Les conseils de Steve Masson

Nicole Bouin termine son exposé par l’énumération des préconisations pédagogiques empruntées au promoteur de la neuroéducation :

  • activer régulièrement les réseaux neuronaux car l’oubli est le devenir normal des connaissances qu’on n’a vues qu’une seule fois (car comprendre n’est pas apprendre) : le rôle de l’enseignant est de construire des stratégies contre l’oubli ;
  • espacer les périodes d’apprentissage,
  • structurer les contenus en annonçant clairement objectifs et enjeux ;
  • vérifier que les préalables sont automatisés ;
  • ne pas dépasser plus de 5 notions nouvelles dans une séquence ;
  • regrouper les informations logiquement ;
  • catégoriser, hiérarchiser les contenus (par ex., distinguer l’essentiel de l’anecdotique) ;
  • présenter des modes opératoires en 3 ou 4 étapes maximum ;
  • développer les capacités d’inhibition ; verbaliser les erreurs possibles ;
  • entraîner les élèves à passer du pilotage automatique au pilotage réfléchi/conscient ;
  • initier le transfert ;
  • apporter un feedback adapté.

 

En conclusion…

Nicole Bouin plaide pour la sensibilisation, l’accompagnement, l’entraînement à l’introspection cognitive dès la maternelle. La prise de conscience des fonctionnements mentaux rassure les élèves, leur donne confiance en eux. Cela leur permet de découvrir leur propre mode de fonctionnement, comment ils ont intérêt à faire pour être attentifs et comprendre.

Les sciences cognitives permettent aux élèves - et aux enseignants - de déculpabiliser quand ça ne marche pas comme on le pensait ou le voulait : c’est qu’on ne savait pas assez de choses sur le fonctionnement du cerveau. Enfin, cela permet d’outiller les enseignants et les parents pour un accompagnement efficace des élèves et des enfants.

Les questions qui ont suivi ont permis à Nicole Bouin de revenir sur certains points :

  • le rôle de la spatialisation dans la mémorisation à moyen terme : le fait d’associer des mots ou des notions à des lieux permet de les mémoriser plus facilement (surtout quand il n’y a pas de lien logique entre eux) ;
  • une intervention invite à revenir sur l’invalidation de la « théorie » des intelligences multiples : il s’agirait moins d’une identification d’intelligences différentes que d’une progression dans le temps ; la première forme d’intelligence serait liée à la sensibilité au son, à la musique ;
  • sur la diversité des modes d’apprentissage : même si les neurosciences n’admettent pas la diversité des modes d’apprentissage, Nicole Bouin s’appuie sur ses expériences d’enseignan-te et de formatrice pour dire que chacun a sa méthode pour retenir ce qu’on lui demande d’apprendre ;
  • retour sur la « brain gym » : à une personne évoquant les mérites des gestes archaïques dans le traitement des troubles « dys », Nicole Bouin répond catégoriquement qu’on ne guérit pas les « dys » ; on est « dys » pour la vie. Seul un accompagnement adapté permet aux enfants « dys » de contourner leurs difficultés et de progresser (y compris en passant par le corps) ;
  • sur les liens entre le numérique et les apprentissages : le numérique peut être un bon support pour tout ce qui est réactivation, remédiation, entraînement ; les jeunes savent très vite localiser les informations dans un texte ou une image, mais ont du mal à décrypter en profondeur le document : il importe donc de s’appuyer avec eux sur les ressources du numérique et de travailler sur les lacunes induites par le recours à l’outil ;
  • une dernière question en lien avec le développement continu du cerveau : à partir de quel âge faut-il confronter les enfants à un savoir formalisé ? En maternelle, la pâte à modeler plutôt que les tablettes ?... On sort ici du sujet de la conférence et du champ de compétences de l’intervenante. Nicole Bouin fait seulement état d’expérimentations qui montrent qu’avec des enfants de 6 ou 7 ans, les tablettes peuvent avoir des effets positifs quand leur utilisation ne dépasse pas une vingtaine de minutes par jour.

 

Jean-Pierre Bourreau, membre du Comité d’Animation de la MPM

 

Aller plus loin avec la MPM…

  • revenir sur certains aspects abordés par Nicole Bouin…
  • échanger sur les pratiques pédagogiques en lien avec les neurosciences…
  • apporter sa contribution au débat de fond sur la place des neurosciences dans l’école…

c’est POSSIBLE !

en prenant directement contact avec la MPM par son site : www.maisondelapedagogie.fr