A la rencontre des grand(e)s pédagogues :

Emmi PIKLER (1902-1984)

 

 

Rencontre

Lundi 24 avril 2023 de 18 h 30 à 20 h 30, Maison des Associations de BOURTZWILLER, 62 rue de Soultz.

« Emmi Pikler fait ses études de médecine à Vienne, puis se spécialise entre 1927 et 1930 en pédiatrie. Au cours d'un stage en chirurgie, elle constate qu'il y a beaucoup moins d'accidents graves chez les enfants des quartiers populaires que chez les enfants des milieux aisés qui ont une moindre liberté de mouvement et sont fréquemment surprotégés... »

C’est ainsi que commence la notice Wikipedia consacrée à la pédiatre et pédagogue hongroise. Moins connue que Maria Montessori, elle est pourtant devenue une référence internationale dans le monde de l’éducation de la toute petite enfance. Il était donc temps que nos deux structures proposent d’aller à sa rencontre et à la découverte de la pédagogie qu’elle a élaborée au sein de sa famille et des familles qu’elle accompagnait, et adaptée à partir de ses observations empiriques au sein de la pouponnière de la rue Loczy à Budapest.

Ce sera en compagnie de Josiane GROU, membre du Comité d’animation de la MPM et praticienne de la pédagogie Pikler au cours de sa carrière professionnelle auprès des tout-petits. Une rencontre ouverte à toutes les personnes qui pensent que si, chez l’enfant, tout ne se joue pas avant l’âge de 6 ans, les toutes premières années de la vie peuvent avoir un certain impact sur le développement de l’individu et la construction de son autonomie et de sa personnalité.

Rappelons que la Pouponnière de l’Ermitage, installée depuis le début du XXe siècle sur les hauteurs du Rebberg, à Mulhouse, est un haut-lieu de la mise en oeuvre de la pédagogie Pikler.

 

 

Animation

Rencontre animée par Jean-Pierre Bourreau à la Maison des Associations de Bourtzwiller 62 rue de Soultz.

 

Trace rédigée par Agathe CHENELOT à partir des notes transmises par Josiane GROU

Emmi Pikler (1902-1984)

Lundi 24 avril 2023

Présentation par Josiane GROU

 

 

  1. La genèse de la pédagogie Pikler-Loczy

Le parcours de vie d’Emmi Pikler a sans doute largement contribué à sa formidable intuition qui lui a permis de développer ce qui deviendra la pédagogie Pikler-Loczy, d’abord reconnue en Hongrie, puis dans le reste du monde.

En effet, Emmi Pikler est née en 1902 à Vienne d’une mère autrichienne et d’un père hongrois. De 1920 à 1930, elle fait des études de médecine, puis de pédiatrie à Vienne. Elle constate au cours d’un stage en chirurgie infantile que les enfants des quartiers populaires ont beaucoup moins d’accidents graves que les enfants des milieux aisés, milieux surprotégeant souvent les enfants, leur laissant ainsi une moindre liberté de mouvement. Elle passera sa vie en Hongrie.

Elle se marie en 1930 avec Gyorgy Pikler, professeur de mathématiques à l’université, statisticien, passionné de pédagogies nouvelles.

Emmi Pikler élabore la pédagogie qui porte son nom d’abord pour ses 4 enfants, mais aussi pour les familles qu’elle accompagne à domicile pendant ses années de pédiatre de ville, de 1935 à 1945.

Riche de toutes ces expériences, elle a l’intuition que la nature équipe (sauf exception) chaque enfant des potentialités qui lui permettent d’acquérir par lui-même la position humaine. Elle fait donc confiance à l’enfant dans son développement moteur pour qu’il conquiert la verticalité pour trouver son équilibre statique (se tenir debout) et son équilibre dynamique (marcher).

Elle cherche donc à mettre en place un environnement favorable, capacitant, pour que non seulement l’enfant découvre ses potentiels et ses limites de façon autonome, mais bien au-delà, pour qu’il se réalise dans sa condition d’humain.

En 1946, elle crée à la demande du gouvernement hongrois une pouponnière, au 3 rue Loczy (d’où le nom de pédagogie Pikler-Loczy), pour les enfants orphelins de guerre ou abandonnés. Ces enfants sont donc a priori susceptibles de vivre longtemps en institution, et pour certains, dès leur sortie de maternité. Emmi Pikler connait les ravages de l’hospitalisme, syndrome fréquent chez les enfants vivants en institution, privés de soins maternels, syndrome conduisant à un tiers de décès chez les enfants souffrant de cette carence affective. Emmi Pikler adapte donc rapidement sa pédagogie pour que ces enfants puissent avoir un développement aussi heureux et harmonieux que possible. Elle souhaite donc que ces enfants soient accompagnés d’adultes :

  • proches et chaleureux, attentifs et respectueux du « bébé qui est une personne »,
  • lui assurant l’autonomie par la liberté de ses mouvements et dans les joies de ses jeux,
  • lui permettant, dans des conditions adéquates et réfléchies, de découvrir son environnement à son rythme et à son niveau de développement.

Convaincue donc que ces enfants n’ont pas tant besoin d’une attention médicale que d’une attention éducative et pédagogique, elle fait le choix de se séparer des professionnelles qualifiées engagées à l’ouverture de la pouponnière et elle recrute des jeunes filles sortant de l’école avec un baccalauréat, jeunes filles qu’elle forme elle-même. Elle dirige également un centre de recherche, situé dans le haut de la maison.

 

  1. Les 4 grands principes de la pédagogie Pikler-Loczy
    • La valeur d’une relation affective privilégiée et l’importance de la forme particulière qu’il convient de lui donner dans un cadre institutionnel

Le nombre de personnes qui s’occupent d’un même enfant est limité pour que chaque enfant ait une relation privilégiée avec un adulte permanent. L’enfant est au centre de la relation. L’adulte référent investit pleinement cette relation, mais sans jamais reporter sur l’enfant ses attentes personnelles et sa propre affectivité. Chaque enfant reçoit une attention très individualisée tout au long de la journée : attention exprimée de façon directe pendant les soins et de façon indirecte et à distance pendant l’inter-soin.

Les temps de soins étant essentiels pour construire cette relation, la pédagogie Pikler-Loczy en définit clairement le déroulement.

Dans l’inter-soin, quand l’enfant ne dort pas, il est mis dans des situations qui favorisent pleinement son activité spontanée, le plus en autonomie possible. Un raccourci serait de croire que l’enfant est livré à lui-même. Mais ce n’est jamais le cas. L’enfant et la nurse sont constamment dans un rayon d’écoute et de vision mutuels. Par contre, l’adulte veille à ne jamais développer une dépendance plus grande que celle nécessairement exigée par le niveau de développement de l’enfant : la réponse de l’adulte ne doit pas dépasser la demande de l’enfant, elle doit même rester plutôt en-deçà. Ainsi, les situations proposées à l’enfant sont organisées à la mesure de ses possibilités afin qu’il en ait toujours la maitrise.

De même, l’adulte veille à ne pas développer une trop grande demande affective. L’attention réelle donnée pendant les soins est la garantie d’un niveau d’échange indis-pensable et suffisant pour que l’enfant ne sombre pas dans l’inaffectivité, ni dans le syndrome d’insatisfaction affective.

  • La valeur de l’activité autonome

Emmi Pikler est convaincue que c’est à travers l’expérimentation des situations que se développent des attitudes d’hommes adultes, créatifs et responsables.

D’une part, l’activité autonome permet à l’enfant d’accumuler les expériences qui favorisent un développement moteur harmonieux : trouver de nouvelles positions, rechercher un équilibre, apprendre à se déplacer dans l’espace à la rencontre des objets, du monde. D’autre part, un bébé éprouve du plaisir à exercer librement sa motricité de sa propre initiative : cette joie du mouvement chez l’enfant fait partie intégrante de sa joie de vivre, de son plaisir d’essayer et de réussir, d’avoir des initiatives personnelles, de découvrir ses limites et ses compétences. Cette joie du mouvement favorise aussi sa connaissance de son corps, le développement de sa pensée, ses acquisitions de connaissances.

Mais pour que l’activité autonome porte ses fruits, il y a des conditions à respecter. Les enfants doivent donc être placés dès leur plus jeune âge dans des conditions telles qu’ils puissent découvrir le plaisir que peut leur apporter leur propre activité spontanée. Et pour que cette activité soit investie, elle doit naitre de l’enfant lui-même dans une sorte d’auto-induction sans cesse renforcée par le résultat obtenu. Par ailleurs, elle est pour lui une source de plaisir sans cesse renouvelée.

Cependant, cette activité autonome ne peut exister sans une relation affective privilégiée pour que l’enfant se sente en sécurité.

Ainsi, dans la pédagogie Pikler-Loczy, toute la vie des enfants est étudiée pour leur laisser une totale liberté de mouvements dans toutes les situations où ils se trouvent, tout en les protégeant des dangers. L’adulte stimule constamment cette activité motrice de façon indirecte et de trois manières :

  • par la progression des situations dans lesquelles l’enfant est placé et la diversité du matériel mis à sa portée en fonction de ses goûts et de ses possibilités ;
  • par le respect du rythme des acquisitions motrices de chaque enfant. Sauf retard important, peu importe l’âge auquel ont lieu les acquisitions. Ce qui compte, c’est que chacune des acquisitions motrices procède de la précédente, ne s’implantant que lorsque cette dernière est bien acquise et forme une base solide qui donne à l’enfant une réelle maîtrise et lui permette d’aller de l’avant en toute sécurité et sans crainte. Par exemple, il n’est jamais assis tant qu’il ne s’assied pas seul ;
  • quand l’enfant cherche l’interaction, par un commentaire verbal, à distance qui, de temps en temps, reconnaît le succès de l’enfant et l’aide à prendre conscience de ses accomplissements.
    • La nécessité de favoriser chez l’enfant la prise de conscience de lui-même et de son environnement

Pour Emmi Pikler, la prise de conscience de lui-même et de son environnement par l’enfant est favorisée par la régularité des évènements dans le temps et la stabilité des situations dans l’espace. Le moment des soins, entre autres à travers le maternage, est idéal pour aider l’enfant à comprendre d’abord, puis à savoir ensuite qui il est, ce qui lui arrive, ce que l’adulte lui fait et ce qu’il fait, qui s’occupe de lui, ce qu’il va devenir.

Emmi Pikler estime aussi que la verbalisation du vécu est essentielle à cette prise de conscience : l’adulte parle à l'enfant pour le prévenir de ce qui va se produire, pour lui dire ce qu’il est en train de faire. Ce partage verbal permet à l'enfant d’être sujet du soin et d’enten-dre les mots disant les actions vécues. La régularité des évènements dans le temps, puis les mots, permettent à l’enfant d’anticiper certaines actions, de pouvoir réagir (interaction entre enfant et adulte faisant appel à sa participation). C’est une façon de l’aider à se percevoir lui-même, à se connaître et à s’exprimer, donc à s’affirmer en tant que personne pour devenir un adulte "autonome et responsable".

Développer la capacité de l’enfant à participer est considéré comme la base nécessaire à des prises de positions ultérieures proprement adultes. Tout ceci implique que l’enfant est toujours considéré en sujet. Dès le plus jeune âge et en partant de lui, l’adulte cherche à le rendre partie prenante chaque fois qu’il entre en rapport avec lui.

  • L’importance d’un bon état de santé physique

L’équilibre et l’épanouissement des enfants sont des atouts pour le maintien d’un bon état de santé. Considérer l’enfant dans sa globalité et en tant que personne unique aussi. Cela transparait derrière les différents principes directeurs de la pédagogie Pikler-Loczy.

Une utilisation maximum de la vie au grand air est un autre des traits dominants de cette pédagogie.

Par ailleurs, en institution, l’enfant malade est soigné au sein de son groupe par ses nurses. En effet, on considère que, mis en insécurité par la maladie, l’enfant a plus que jamais besoin de leur présence et du soutien de son cadre de vie habituel.

 

  1. L’héritage laissé par Emmi Pikler 

En 1961, la pouponnière de la rue Loczy est chargée de la formation des équipes des autres pouponnières hongroises. Emmi Pikler développe alors son activité de recherche et élabore des outils pour la formation des professionnelles. Elle publie en 1970 un manuel pour la formation des professionnels s’occupant des enfants au quotidien (mais pas de traduction française à ce jour). Par contre, « Se mouvoir en liberté dès le premier âge », traduction française de ses travaux de recherche sur le développement moteur, est publiée en France aux éditions PUF en 1979.

En 1979, Emmi Pikler prend sa retraite. Elle poursuit cependant ses travaux scientifiques et une activité de conseil et d’enseignement. Elle décède en 1984.

En 1998, une association internationale est créée pour que le travail de la pouponnière continue et pour que tout le travail de recherche effectué soit sauvegardé. La pédagogie Pikler s’est répandue à travers le monde, sur les différents continents.

En 2003, à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance d’Emmi Pikler, « Grandir sans violence », un symposium international, se tenait à Budapest.

En 2011, toutes les pouponnières hongroises (y compris celle de le rue Loczy) sont fermées par le gouvernement afin de réduire les coûts d’accueil. Les enfants orphelins et abandonnés sont placés dans des familles.

Aussi depuis la fermeture, la pouponnière de la rue Loczy accueille une crèche pour les en-fants du quartier et des ateliers parents-enfants réguliers.

 

Trace rédigée par Agathe CHENELOT à partir des notes transmises par Josiane GROU

Mai 2023

 

 

Repère bibliographique 

Loczy ou le maternage insolite, Dr Myriam David, Geneviève Appell, C.E.M.E.A  SCARABEE

https://www.pikler.fr/emmi-pikler/son-parcours-personnel/

PS pour information : la Pouponnière de l’Ermitage, à Mulhouse, met en œuvre au quotidien la pédagogie Pikler-Loczy  avec les enfants qu’elle accueille.