À la rencontre des grands pédagogues : ALAIN (1868-1951)

 

 

Rencontre

Lundi 04 avril 2022 de 18 h 30 à 20 h 30, à distance.

Émile–Auguste Chartier, dit Alain est une figure à part dans le tableau des « grands pédagogues » que nous continuons de rencontrer depuis exactement 4 ans, presque exclusivement à partir de vidéos réalisées par Philippe Meirieu, au début des années 2000, pour sa série « L’éducation en questions »

La question posée en titre de ce court métrage consacré  à ce professeur de philosophie qui a fait toute sa carrière au lycée Henri IV, à Paris, est la suivante :

« L’école doit-elle délivrer l’enfant de ses parents ? »

Elle nous permet de poser la problématique des relations entre l’école et les familles :

  • pourquoi, selon Alain, faut-il séparer éducation familiale et éducation scolaire ?
  • pourquoi, aujourd’hui, parle-t-on autant de « co-éducation » entre l’école et les familles ?

Et si c’était la notion d’éducation elle-même qui était en jeu ?

De beaux échanges en perspective pour le 5e anniversaire de ces rencontres, toujours riches, entre notre patrimoine pédagogique, nos expériences de terrain et nos conceptions de l’éducation.

 

Animation

Rencontre animée à distance par Jean-Pierre Bourreau (MPM) et Tina Steltzlen (Le Rezo !)

 

Trace de la rencontre

À la rencontre des grands pédagogues

ALAIN (1868-1951)

Lundi 04 avril 2022, à distance

 

Émile–Auguste Chartier, dit Alain est une figure à part dans nos Rencontres avec les grands pédagogues en compagnie des vidéos réalisées par Philippe Meirieu, au début des années 2000 dans le cadre de sa série « L’éducation en questions ».

 

La question posée en titre de ce court métrage consacré à ce professeur de philosophie qui a fait toute sa carrière au lycée Henri IV, à Paris, est la suivante :

« L’école doit-elle délivrer l’enfant de ses parents ? »

 

Elle nous permet de poser la problématique des relations entre l’école et les familles :

  • pourquoi, selon Alain, faut-il séparer éducation familiale et éducation scolaire ?
  • pourquoi, aujourd’hui, parle-t-on autant de « co-éducation » entre l’école et les familles ?

Et si c’était la notion d’éducation elle-même qui était en jeu ?

Présentation du film de Philippe Meirieu et des témoignages des acteurs du collège Wallon à la Seyne-sur-Mer (Var).

Le film de Philippe Meirieu s’ouvre sur différents témoignages de collégiens, de professeurs, du principal du Collège Henri Wallon de La Seyne sur Mer. Celui-ci souligne l’importance des relations entre l’École et l’extérieur. Ȧ ce propos, P. Meirieu rappelle également que pour Jules Ferry, la tradition de l’École républicaine veut que l’École soit en rupture avec la famille. Cette dernière est le local, l’enfermement, la mère prisonnière de son confesseur et qui va imposer le cléricalisme à son fils, l’enfermement alors que l’École est la raison, la connaissance, le savoir, la scientificité et l’égalité et non pas la superstition. Emile-Auguste Chartier a parfaitement compris et conceptualisé cette conception et l’a promue. Pour lui, la famille est une sorte de cocote minute affective qui est menacée d’exploser.

Emile-Auguste Chartier est né dans le Perche en 1868. Elève d’une école religieuse, très bon élève, il a perdu sa foi autour des 15 ans, a poursuivi ses études brillamment à l’Ecole Normale Supérieure, a réussi l’agrégation de Philosophie, deviendra professeur à Pontivy, Lorient et Rouen. Puis, il s’est engagé en politique aux côtés des Dreyfusards. En 1900, il commence à publier ses premiers propos sous le pseudonyme d’Alain. En 1902, il a été nommé professeur au lycée Henri IV à Paris. Il s’engagera volontairement pendant la guerre de 14-18 et retournera finir sa carrière au lycée Henri IV. Il prendra sa retraite en 1933 dans sa maison du Vésinet (78).

Selon les propos du principal du collège Wallon, il n’est plus possible actuellement de ne plus avoir de lien entre la famille et l’Ecole, comme le disait Alain. Les enfants viennent à l’Ecole en amenant avec eux leurs peurs et leurs angoisses. L’Ecole doit leur permettre d’oublier ces peurs et ces angoisses de violences sociales et mettre en place des dispositifs pour qu’ils puissent suivre un cours et oublier toutes leurs inquiétudes. Avec les enseignants, le principal cherche des solutions pour répondre à cette problématique.

S’ensuit, un échange entre enseignants qui évoque la démission des parents et constate également le manque d’intérêt, voir la démission de certains élèves qui arrivent à l’École complètement déstructurés sur le plan psychique et affectif. Les enseignants ne peuvent pas se substituer à la cellule familiale. L’École ne peut pas tout assumer et n’est pas responsable de cet échec L’enseignant est certes un maillon de la construction d’une personne pour l’amener sur le chemin de la citoyenneté. Il faut noter que ceux qui réussissent, ce sont ceux qui sont accompagnés et soutenus par leurs parents.

Quand l’éducation familiale ne joue pas son rôle, c’est la société toute entière qui doit donner aux parents les moyens pour y parvenir.

L’éducation doit devenir l’affaire de tous !

Le principal du collège Wallon précise que l’académie comporte 139 collèges. Selon les critères sociaux, il est classé en 139ème position. Il se situe parmi les 10 collèges les plus difficiles de France. Il est  à noter que le collège Wallon dispose de moyens pour accompagner les élèves : deux médiateurs, un maghrébin et un gitan, qui aident à améliorer les relations avec les familles. Ces personnes reconnus par les parents, représentent l’autorité morale et contribuent à instaurer le dialogue et le lien avec les familles. La prise en compte des problèmes des familles par des rencontres, par la capacité d’aller au-devant  et de les écouter et qu’ils ont des choses à dire permet d’avancer pour installer une relation de confiance.

Ce collège, situé au cœur de la cité, dispose d’une architecture bien adaptée aussi bien pour les 6ème  que pour les aînés. Des espaces sont prévus pour ceux qui veulent travailler, pour ceux qui veulent se regrouper et parler. Les élèves apprécient ce collège à proximité de leurs logements. Pourtant, certains professeurs trouvent que le milieu de la cité est inadapté au collège. Par ailleurs, certains parents ne veulent pas mettre leurs enfants dans ce collège en raison du taux de fréquentation des étrangers… Le foyer a toute son importance au sein de l'établissement. Certains parents suivent des études de langue, d’informatique, de mathématiques, de français… afin d’aider leurs enfants à faire leurs devoirs.

Les élèves qui y sont accueillis, ne sont plus chez eux, mais ils voient leurs habitats. Ils ne sont pas encore en situation d’enseignement  mais ils peuvent libérer tout ce qu’ils ont dans leurs têtes, la libération de la peur et des angoisses.

Alain a bien raison de dire qu’il faut que l’Ecole délivre l’enfant de tous ses caprices, de toute sa subjectivité, qu’elle lui permette d’accéder à une vérité qui n’est pas réductible à ses intérêts immédiats. Comment faire pour cela ?

Alain laisse entendre qu’il est nécessaire d’accrocher sa subjectivité au porte-manteau avant d’entrer dans la classe. Cette recommandation, n’est certainement pas facile à suivre pour les enseignants. Peut-être faut-il organiser des SAS, des temps de passage pour que progressivement l’élève chargé de préoccupations multiples, puisse se préparer à accéder à la raison scolaire.

Après cette présentation, Philippe Meirieu s’interroge :

Que reste-t-il d’Alain aujourd’hui ? que reste-t-il de l’œuvre de celui qui enseignait à des élèves favorisés dans un lycée élitiste. Que reste-t-il de son travail à une époque où nous sommes confrontés à des élèves difficiles ? Que reste-t-il, dans un univers où les passions sont dominantes, de l’exigence de mettre au cœur de l’activité pédagogique la construction de la vérité contre l’opinion, la vérité qui vient arbitrer entre les opinions, et qui ne fait pas que celui qui crie le plus fort s’impose, mais celui qui démontre le mieux.

Après le court métrage, un échange permet d’aborder la question de la personnalité d’Alain, grand pédagogue et grand penseur, professeur de l’illustre lycée élitiste Henri IV de Paris ainsi que ses intentions pédagogiques. En effet, pour lui le but de la philosophie consiste à apprendre à réfléchir et à penser rationnellement en évitant les préjugés. Humaniste cartésien, il est un « éveilleur d’esprit », passionné de liberté, qui avait pour objectif de se méfier des idées toutes faites. Il s’est inscrit contre la « pédagogie des inspecteurs » et le recours à des manuels fabriqués pour l’École. Alain met plutôt l’accent sur des valeurs et des pratiques qui misent sur le travail, la rigueur, l’effort, la volonté.

Rédigé par Ginette Kirchmeyer

Les échanges qui ont suivront permis aux participants de reprendre à leur compte la question initiale de Philippe Meirieu : « L’école doit-elle  délivrer les enfants de leurs parents ? »

 

Chacun.e. a accepté de mettre par écrit l’essentiel de ses propos… Ce qui permet de comprendre certaines redites ainsi que la diversité formelle des réflexions.

 

  • JMN

Meirieu introduit son propos en déclarant que « la tradition républicaine veut que l’école soit en rupture avec la famille. Pour Jules Ferry, la famille, c’est le local, l’idéologie, l’enfermement, la mère prisonnière de son confesseur qui va imposer le cléricalisme à son fils alors que l’école, c’est la raison, l’égalité, la connaissance, le savoir, la scientificité et non pas la superstition. Alain est sans doute celui qui qui a le mieux compris, théorisé, promu cette conception-là. Pour lui, la famille est une sorte de cocotte-minute affective menacée à chaque instant d’exploser. »

C’est sur cette synthèse que se construit ensuite toute la démonstration et mes recherches, sans doute insuffisantes, ne m’ont pas permis de trouver les textes d’Alain qui pourraient corroborer ces affirmations.

Si nous nous fondons sur la question qui amorce le sujet, « l’école doit-elle délivrer l’enfant de ses parents ? », on pourrait considérer que c’est cette dimension de délivrance qui est à l’œuvre dans les propos de la collégienne, Vanessa, dans son apparition au début du film. Elle déclare : « Si je pense à l’extérieur, à l’intérieur, ce ne sera pas bon et ça m’embrouille les neurones. Il vaut mieux pas que j’y pense. C’est autre chose, à l’école et à la maison. »

Le collège, l’école, peuvent alors être conçus comme des lieux qui permettent à l’enfant de devenir élève, dans un milieu différent, où il va pouvoir acquérir des notions, des connaissances et des postures que ne peuvent pas lui apporter ses parents ou sa famille. C’est une des raisons pour lesquelles il est capital de faire en sorte que l’école soit un lieu et un moment porteurs de sens, régit par des règles explicites et respectées, un lieu et un temps émancipateurs.

L’école se pose alors non en opposition aux parents et aux familles mais en complément éducatif.

« Délivrer » mais non couper de ses parents.

Les enseignants en particulier et l’école en général, ne peuvent pas faire abstraction des parents, de la famille et, plus globalement, du milieu dont sont originaires les élèves puisqu’ils sont censés contribuer, les uns et les autres à leur épanouissement et à leur accession à l’autonomie.

Des échanges et des rencontres sont alors souhaitables qui favoriseront une meilleure connaissance réciproque. Si, dans cette optique, il ne faut pas trop miser sur les réunions institutionnelles parents-profs qui ponctuent l’année scolaire, généralement très axées sur les résultats et les performances, on tirera meilleur profit des occasions que peuvent fournir, par exemple, l’organisation de fêtes ou de sorties scolaires.

Le problème de la place et du rôle des parents dans l’école est donc complexe et mérite réflexion, voire un travail de formation pour tous les acteurs concernés.

Dans le film, les témoignages de parents qui déclarent être retournés à l’école pour aider leurs enfants illustrent cette complexité lorsqu’on les écoute en écho au chapitre que Philippe Perrenoud consacre aux « devoirs » dans son ouvrage « Métier d’élève et sens du travail scolaire ». Le chapitre intitulé « Sens des devoirs, sens du devoir » comporte deux parties : « Pourquoi parler de l’essentiel quand il est si amusant de parler des devoirs ? » et « Contre les devoirs, pour un temps de travail à la maison ».

 

  • SM

Lorsque nous parlons du fait que l’école peut avoir un rôle positif dans le fait de libérer l’enfant de ses parents, nous avons tendance à parler des jeunes venant de la classe populaire. En effet, l’école pourrait leur permettre d’élargir leurs connaissances, leur culture, …

Les élèves faisant partie de la classe aisée ont eux aussi une certaine pression venant de la part de leurs parents : ils doivent se plier à certaines croyances, et peuvent se sentir obligés de suivre un schéma préétabli. Néanmoins, ces derniers disposent de plus de moyens et de temps libre pour avoir l’opportunité de lire, de discuter, … pour pouvoir s’ouvrir l’esprit. 

 

  • AW

Dans le cadre de la relation parents/enfants j’ai pu faire les constats suivants tirés d’expériences personnelles (famille, proches) de terrain et de la lecture de sociologues ou d’autres experts qui analysent et étudient notre société :

  • inégalités profondes entre l’ensemble des familles :
  • CSP, éducation
  • aux extrêmes : les enseignants et CSP ++ / parents indignes (harcèlement, abus sexuels, brutes épaisses).
  • Dans le voisinage de ma famille il y avait une brute épaisse mais aussi son inverse.
  • notre société se compose de brutes épaisses et aussi leur inverse, des personnes bienveillantes et généreuses ainsi que toutes les nuances entre ces extrêmes.

 Cas des familles monoparentales.

 Parents accaparés par leurs professions (cas de CSP + et ++).

  • compensation par le rôle des grands parents et tontons, tatas.

 Apports positifs mais aussi négatifs des copains de sport, de loisirs.

 Et pour finir, l’emprise de la mère dénoncée par Boris Cyrulnik à juste raison à mon sens.

  • voir les mamans et belles-mamans italiennes et autres
  • moi-même je me suis émancipé très tôt tout en gardant mon amour maternel.

(La couveuse ça va un certain temps hihihi)

 

  • AC

Comme à chaque rencontre avec un grand pédagogue, grâce aux échanges et réflexions avec les autres participants, j'ai été amenée à (re)questionner certaines façons de voir les choses que je peux avoir.  

Mais plus que jamais, lors de cette rencontre consacrée à Alain, je me suis rappelée à quel point tout est d'abord une question d'époque, de contexte et de points de vue, en règle générale, et plus particulièrement pour la question de savoir si l'école doit délivrer l'enfant de ses parents.  

Plus que jamais, bien plus que de libérer l'enfant de ses parents ou de son contexte de vie (d'ailleurs qui suis-je pour savoir ce dont il faut le libérer ?), il m'est apparu combien il est fondamental de permettre à l'enfant d'être en mesure de penser par lui-même pour être capable de se nourrir de ce qu'il y a de mieux pour lui dans sa réalité tout en ayant les ressources et l'envie de tendre vers le meilleur des possibles… et qu'il puisse faire ses choix en toute conscience… 

 

  • JPB

Les relations école/familles : « Je vous aime, moi non plus ».

La famille, l’école : deux mondes éducatifs.

Un couple qui ne va pas de soi et que notre Rencontre avec Alain (par l’entremise de Philippe Meirieu et de sa question quelque peu provocatrice) nous a permis d’interroger à la lumière de nos expériences, de nos lectures, de nos constats... sous divers angles : historique, sociologique, idéologique, politique.

Au milieu, l’enfant, le jeune et/ou l’élève.

Tout faire en sorte pour que le couple soit harmonieux afin d’assurer le meilleur développement possible du futur adulte, du citoyen de demain.

Aujourd’hui, au-delà de la co-existence (pas toujours pacifique), une invitation, un appel à la co-éducation.

Mais autour de quelles pratiques, de quelles  valeurs communes clairement identifiées et partagées ? Et pour quelle société ?

C’est tout l’enjeu du « quart-lieu apprenant » en construction à Bourtzwiller qui a pour ambition de devenir un espace de rencontres, d’échanges, de réflexions, de propositions entre tous les acteurs de l’éducation du quartier : parents, enseignants, éducateurs, intervenants associatifs… sans oublier les enfants, les élèves, les jeunes.

 

  • Tina Steltzlen

Alain propose de « libérer l’enfant de sa famille » ne faudrait il pas libérer l’enfant de l’école qui est un lieu de reproduction des inégalités ?

Mulhouse, 25 avril 2022