À la rencontre des grands pédagogues :
Joseph JACOTOT (1770-1840)
Rencontre
Lundi 10 janvier 2022 de 18h30 à 20h30, à distance.
Joseph Jacotot est un contemporain de Jean-Gaspard Itard, dont nous avons fait la connaissance lors de notre dernière Joseph Jacotot est un contemporain de Jean-Gaspard Itard, dont nous avons fait la connaissance lors de notre dernière rencontre, le 15 novembre.Comme lui, Jacotot a tenté un pari un peu fou : permettre à des étudiants néerlandophones d’apprendre le français sansleur enseigner le moindre rudiment de notre langue, simplement en leur demandant de lire et de commenter « Lesaventures de Télémaque », un roman didactique de Fénelon. Ce qui amène Philippe Meirieu à s’interroger dans son petitdocumentaire de la série « L’éducation en question », bien connue des habitués de ces rencontres : « Peut-on enseignersans savoir ? » Une énigme pédagogique à laquelle les échanges entre les participants permettront (peut-être) de répondre. Mais aussi l’occasion de s’interroger sur ce que apprendre et enseigner veulent dire, et de voir ensemble comment cette expérience pédagogique « limite » peut résonner aujourd’hui chez les enseignants, les éducateurs, les formateurs, dans et hors l’école.
Animation
Rencontre animée à distance par Jean-Pierre Bourreau (MPM) et Tina Steltzlen (Le Rezo !)
Trace rédigée par Solène MONTSEGUR (le REZO!) avec la collaboration de Jean-Marie NOTTER
À la rencontre des grands pédagogues Joseph Jacotot (1770-1840)
Lundi 10 janvier 2022 (à distance)
La naissance et les fondements de la pédagogie de Joseph Jacotot (1770-1840)
Né en 1770 dans un milieu modeste à Dijon, Joseph Jacotot est un intellectuel qui enseigne successivement la logique, le droit et les mathématiques.
Un poste de lecteur de littérature française dans une université de Belgique l’amène à enseigner le français à des étudiants parlant hollandais, langue qu’il ne connaît pas. Pour arriver à cela, il décide de leur faire lire Télémaque de Fénélon en édition bilingue. Le but est que chacun puisse apprendre par cœur les premières phrases du livre en s’aidant de la traduction pour les comprendre.
C’est en leur demandant de raconter en français ce qu’ils ont compris du roman qu’il s’est aperçu qu’ils y arrivaient pratiquement sans faute, ce à quoi il ne s’attendait pas du tout.
Il se rend ainsi compte qu’il n’y a pas que le maître qui peut enseigner comme on pouvait le croire à l’époque. C’est, bien au contraire, en mettant les apprenants dans des situations contraignantes qu’ils parviennent à acquérir les savoirs nécessaires.
Ainsi Joseph Jacotot met en avant ce qui fera la base de sa pédagogie : le principe d’égalité des intelligences.
Le principe d’accompagnement :
En resituant la pensée de Jacotot au début du 19ème siècle, nous pouvons nous rendre compte qu’il met en place bien avant l’heure une réelle posture d’accompagnement de l’enseignant, et d’émancipation de l’élève pour que celui-ci puisse apprendre. En effet, le professeur se met en retrait pour pouvoir permettre à l’apprenant de chercher par lui-même ses réponses afin de mieux les intérioriser.
Si l’enseignant se contente d’expliquer des principes plusieurs fois, il empêche l’élève d’être chercheur dans son apprentissage. Et pourtant, c’est ce tâtonnement expérimental qui va lui permettre de réellement comprendre le savoir qu’il cherche à acquérir. Le rôle du maître n’est donc peut-être pas réellement d’enseigner mais d’accompagner les apprenants en créant les conditions nécessaires pour qu’ils se sentent suffisamment en confiance pour pouvoir apprendre.
Le principe d‘accompagnement peut néanmoins faire peur à certains enseignants. En effet, ils pourraient avoir l’impression de ne pas maîtriser entièrement tout ce qui se passe, même si cela pourrait leur permettre de prendre du recul pour pouvoir observer le cheminement des apprentissages et intervenir quand cela est nécessaire.
C’est un petit peu comme si le maître devait s’autoriser à ne pas enseigner, tout comme l’élève pourrait s’autoriser à penser.
Mettre les élèves dans des situations contraignantes pour apprendre
En étant devant une situation réelle mais aussi contraignante, les élèves ont la possibilité de se poser des questions. Les réponses à ces questions leur étant utiles sur le moment, il sera bien plus facile pour eux de les retenir.
En plus de cela, le fait de mettre en place une pédagogie de projet avec les élèves peut leur permettre d’être acteurs de leur propre apprentissage, et de leur faire acquérir la valeur du travail et de l’engagement. Pour certain il est crucial d’être acteur de leur apprentissage pour pouvoir réellement le comprendre et le retenir.
Les élèves doivent donc pouvoir prendre des risques, essayer de trouver des solutions par euxmêmes et se baser sur l’enseignant si cela est nécessaire.
De nombreux pédagogues que nous avons pu rencontrer jusqu’à présent ont aussi dû se retrouver dans un contexte compliqué ou avec un public dit « difficile » pour mettre en place leur méthode. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que la contrainte est quelque chose qui peut être également nécessaire pour pouvoir affiner une démarche pédagogique.
Le principe d’égalité des intelligences
Jacotot part du principe que nous ne pouvons pas dire que quelqu’un manque d’intelligence, ce qui est avant-gardiste dans un siècle qui est marqué par l’idée que l’enseignant est supérieur. Étant donné qu’il n’est pas possible de faire appel à tous les principes existants pour transmettre des connaissances à un individu, ne pouvons-nous pas avancer l’hypothèse que ce dernier dispose des mêmes capacités que ceux que nous considérons comme de grands savants ?
En considérant que nous sommes tous égaux concernant notre intelligence, l’enseignant peut se mettre à l’écart et permettre aux élèves d’apprendre entre eux. Le savoir transmis habituellement de manière verticale, et donc du maître à l’élève, est ainsi acquis de manière horizontale.
Peut-on enseigner sans savoir ? Faut-il savoir pour enseigner ?
Dans la culture éducative traditionnelle, oui, il faut savoir pour enseigner. L’enseignant est l’unique vecteur de savoir et constitue le seul moteur de l’enseignement. Le travail du professeur consiste alors à étaler son expertise.
Cependant, nous pourrions dire que certains experts peuvent enseigner mais sans la pédagogie nécessaire le risque est qu’ils utilisent des concepts trop compliqués pour des non-initiés. Au contraire le fait de ne pas savoir ce que les apprenants doivent apprendre peut permettre à l’enseignant de se mettre au même niveau qu’eux.
Tout dépend aussi de ce que nous entendons par la notion de savoir. En effet, Jacotot ne connaissait certes pas le hollandais, mais il avait des doctorats dans de nombreux autres domaines. Il avait des lacunes, mais avait déjà une certaine conscience des techniques d’apprentissage.
Et malgré cela, nous ne pourrons jamais savoir si Jacotot a décidé d’enseigner le français de cette manière à ses élèves en sachant que cela fonctionnerait, ou s’il s’agissait d’un pari pédagogique.
En conséquence, la détention de la culture et du savoir peut être un appui très intéressant en enseignement tant que le professeur admet la nécessité de s’ouvrir à d’autres horizons pédagogiques ainsi qu’à la réelle écoute de ses élèves. En reprenant la vision de Joseph Jacotot, la connaissance n’est pas une base fondamentale en enseignement, elle peut servir d’appui à l’enseignant tant qu’il a la faculté de se mettre en retrait pour laisser réfléchir ses élèves par eux-mêmes.
Par ailleurs, en 1987, Jacques Rancière publie « Le maître ignorant » (Éditions Fayard) où il fera un retour sur la pédagogie de Joseph Jacotot. Cependant, même si ce dernier nous propose une vision pédagogique dans laquelle le savoir n’est pas nécessaire pour enseigner, Philippe Carré, auteur d’un ouvrage sur « L’apprenance, vers un nouveau rapport au savoir» (2005) , nous rappelle que « On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres », les experts aussi bien que les pairs.
Conclusion et regard extérieur
Si les élèves apprennent à réfléchir par eux-mêmes ils pourront faire des choix éclairés.
En prenant du recul par exemple sur les visions de Joseph Jacotot ainsi que de Philippe Carré, on peut soutenir qu’il est important de ne pas rester coincé dans une seule pédagogie, de ne pas s’isoler dans une seule méthode. La richesse d’un enseignement va se baser sur le mélange de toutes les pédagogies existantes aux méthodes parfois diamétralement opposées. En reprenant le cas de Jacotot, la mise en situation de contrainte peut être une pédagogie extrêmement intéressante dans certains cas, mais pas forcément pertinente dans d’autres.