À la rencontre des grands pédagogues : 

Jean-Gaspard ITARD (1774-1838)

 

 

Rencontre

Lundi 15 novembre 2021 de 18h30 à 20h30, en présentiel et à distance.

 

Animation

Rencontre animée à distance par Jean-Pierre Bourreau (MPM) et Tina Steltzlen (Le Rezo !)

 

Trace rédigée par Annie de Larochelambert

 

Qui est Jean-Marc Gaspard ITARD (1774 1838) ?

 D'abord médecin, puis chirurgien de guerre, Jean-Marc Gaspard ITARD devient spécialiste des enfants sourds-muets et promoteur de la " démutisation". Il est considéré comme l'un des fondateurs de l'éducation spécialisée. 

Ce qui caractérise la pensée d'ITARD, c'est qu'il croit avant tout en l'éducabilité de l'enfant. Quelles que soient les difficultés de l’enfant, il est convaincu que l'éducation peut tout et qu'il y a toujours quelque chose à faire. Sa conviction -que tout éducateur devrait avoir- est qu’il ne faut jamais renoncer et ne jamais dire " tu n'y arriveras pas" car c'est le condamner à échouer.  ITARD et l'enfant loup

 Lorsqu'il découvre Victor, l'enfant-loup de l'Aveyron, il va s'attacher à montrer qu'il peut l'éduquer et "donner forme" (Meirieu) à cet enfant sauvage. ITARD aime Victor et c'est au nom de cet attachement qu'il va tout mettre en œuvre, même des méthodes qui semblent ne pas être toujours respectueuses de l'enfant et proches de l'acharnement.  C'est là "le paradoxe de l'enseignement" (Meirieu) : l’enseignant ou le parent veulent le bien de l'enfant mais cet amour se transforme en désir de tout contrôler.

 

Les successeurs d’ITARD 

ITARD s'inspire de la philosophie sensualiste. Il met Victor en situation de découvrir le monde avec ses sens. C’est pourquoi il créé des outils spécifiques adaptés à son élève. Ce sont ces questions essentielles qu’il a été parmi les premiers à poser : pourquoi choisir tel ou tel outil ? Quelles sont les intentions, les objectifs de l'enseignant qui accompagne un enfant ?

De nombreuses pédagogies se sont inspirées d'ITARD : l'enseignement programmé ainsi que la pédagogie par objectifs qui rationalise de manière absolue. Maria Montessori s'inscrira également dans la continuité d’ITARD en mettant des enfants face à des outils qu’elle a créés et qui leur permettent d'apprendre.

 

ITARD ne pose-t-il pas les éléments d’un débat toujours d’actualité : celui des limites de toute tentative d’éducation ? 

En d’autres termes, tous les enfants peuvent-ils être éduqués ? ITARD a-t-il réussi à éduquer Victor ?  Ce sont les premières questions que nous nous sommes posées.  Victor a appris à marcher en se tenant à la verticale ainsi que l'usage de quelques symboles, mais il n'a pas réussi à accéder au langage articulé même s'il disposait d'un son particulier pour nommer sa gouvernante à laquelle il était très attaché. Cet « enfant-loup » qui était hors de la communauté des humains lorsqu’ITARD l’a accueilli chez lui a été ramené en son sein. ITARD a réussi à ce que Victor ne soit plus catégorisé comme un « idiot » et établisse des relations d’affection avec certaines personnes. De plus, l’enfant arrivera même à réaliser quelques travaux domestiques. Peut-être ITARD était-il trop centré sur les apprentissages langagiers et moins sur les besoins fondamentaux de l'enfant ? En effet, Victor faisait des crises qui pourraient montrer un certain mal-être, de l’angoisse, de la révolte, de la colère ou de l’incompréhension face aux demandes pressantes et aux attentes de « son maître » qui dépassaient certainement ses capacités. 

         

Quels sont les ressorts de la pédagogie d'ITARD ? 

ITARD, pédagogue, met en œuvre, avant l’heure, le principe d'éducabilité selon lequel tous les êtres sont éducables. Ce postulat repose sur deux points essentiels : la confiance dans l'éducation ainsi que l'importance du regard que pose l'enseignant sur l'enfant (effet Pygmalion).Faire confiance au temps et à la nécessaire maturation est fondamental. Dans l'acte éducatif il y a toujours une très grande humilité à avoir par rapport au temps. L'exigence qui amène l’enseignant à demander des choses difficiles à ses élèves permet également de marquer la confiance qu’il a pour eux. 

Mais l'affirmation "c'est pour ton bien" ne permet-elle pas à l'enseignant de justifier toutes ces démarches ? On pourrait parler de tension, terme qu’utilise Edgar Morin, pour définir l'entreprise de l'éducateur qui est toujours d'avoir un projet éducatif tout en prenant en compte, dans le même temps, le désir et les besoins de l'enfant. Cela peut paraître paradoxal mais c'est là que réside le champ d'action de l'éducateur.

 

L’importance de la relation 

ITARD fait preuve d'humour et d’affection envers Victor. La relation qu'il entretient avec lui est fondamentale. Apprendre est un acte social et c'est en même temps un acte de sociabilisation. 

La confiance et l’exigence coexistent lorsque l’enseignant met ses élèves en situation de se dépasser tout en les accompagnant individuellement avec attention. Cette relation crée les conditions d’une spirale vertueuse qui permet aux enfants de progresser dans leurs apprentissages.

On la retrouve dans l'accompagnement des élèves lancés dans la réalisation de leur chef-d'œuvre. Cette pédagogie a été développée par Léonard Guillaume et Jean-François Manil. Celle-ci se caractérise par les exigences du maître quant au contenu et au libre choix de leur projet de chef d’œuvre laissé aux élèves puis par la capacité qui leur est donnée d'évaluer eux-mêmes leurs apprentissages et leur avancée dans les acquisitions prévues dans les programmes.

https://maisondelapedagogie.fr/rencontres-debats/205-1-octobre-2019-la-pedagogie-du-chef-doeuvre

 

Ce que je retiens 

Ainsi que l’explique Charlot dans Éducation et barbarie (2020), le fondement de toute éducation réside dans la tension entre le désir individuel de l’apprenant et la norme sociale. « L’éducation est un triple processus d’humanisation, de socialisation et de singularisation. »

Dès lors, la pédagogie serait de créer les conditions qui donnent à la fois la possibilité à l’enfant en difficulté (mais aussi aux autres) :

  • de construire ses apprentissages à partir de ses désirs et de ses intérêts propres pour que cette expérience de réussite, de curiosité satisfaite fasse sens pour lui et lui permette de se réconcilier avec lui-même et avec l’acte d'apprendre ;
  • de restaurer le lien avec ses pairs qui peuvent lui apporter une aide par la mise en œuvre de la coopération (en pédagogie Freinet) ;
  • de vivre également l’expérience d’être celui qui suscite l’intérêt de ses camarades en en leur communiquant ses découvertes, ses travaux, ses productions ;
  • d’être en mesure de s'intéresser à son tour aux présentations des autres élèves au cours de ce processus « vertueux » où la réussite appelle la réussite ;
  • et d’accepter d'entrer dans une démarche d’apprentissage normé que propose l'enseignant. Un système complexe, mais vivant, qui ne laisse personne de côté et où chacun apprend à son niveau !            

Le 25 novembre 2011, Annie de Larochelambert