À la rencontre des grands pédagogues : Roger COUSINET (1881-1973)
Rencontre
Lundi 16 novembre 2020, rencontre à distance, de 18 h à 20 h
Animation
Rencontre animée à distance par Jean-Pierre Bourreau, Président de la MPM.
Trace de Maïté PROBST
Chaque participant a l’occasion de se présenter. Comme à chaque rencontre, nous partons d’une vidéo sur un grand pédagogue pour entrer en discussion. Pour cette rencontre, nous avons choisi Roger Cousinet : http://meirieu.com/EDUCATION%20EN%20QUESTION/cousinet.mp4 .
Notre rencontre : c’est plutôt un échange de points de vue, d’expériences et de pratiques. Nous sommes environ une dizaine en général. C’est une co-construction de la séance.
Pour rappel, la réunion de septembre a décidé de continuer selon le modèle des « Rencontres avec les grands pédagogues » en partant des documentaires de Philippe Meirieu. Cela n’empêche pas de prendre en compte les différentes demandes et les offres émises par le groupe.
En début de séance, nous parlons de la situation particulière liée à la COVID 19 en classe, mais aussi dans les accompagnements des élèves à domicile (dans des familles souvent allophones), en périscolaire… Et nous enchaînons avec Roger Cousinet et le travail libre par groupe : une démarche en contradiction avec les contraintes sanitaires liées à la pandémie, mais aussi avec les exigences de l’institution, notamment celles liées au respect des programmes scolaires.
Qu’est-ce qui est nouveau ou surprenant dans la vidéo que l’on a vue ?
On en discute …
On retrouve ici les prises de paroles de chacun :
- Ce qui semble distinguer Cousinet des autres pédagogues de l’Éducation nouvelle, c’est son intérêt pour le groupe. D’autres pédagogues parlent plutôt de compétences personnelles, individuelles. Pour Cousinet, l’enfant est naturellement apte à travailler en groupe.
- Cousinet était inspecteur de l’Éducation Nationale. Il observait ce qui se passait. C’est sur cette idée qu’il a construit sa démarche. Il a observé dès le départ la différence très importante de la posture des élèves entre la classe et la cour. Dans la cour, ils font plein de choses. Le jeu est l’occasion de découvrir et d’expérimenter. Il est dans cette mouvance de l’Éducation nouvelle. Jusque-là, la pédagogie était adossée à la philosophie. À la fin du 19e siècle, les pédagogues se sont appuyés sur leurs pratiques et leurs observations, ainsi que sur la psychologie. Pour Cousinet, le travail scolaire devrait plutôt tirer profit de ce qu’on observe dans le jeu.
- Dans la forêt, les enfants coopèrent naturellement si rien n’est organisé. Ils vont alors se constituer en petits groupes pour construire une cabane par exemple sans que l’adulte n’intervienne, sauf à leur demande, pour un geste technique ou un matériel particulier. Les enfants vont naturellement s’appuyer sur les connaissances des autres en ne faisant pas de l’âge une barrière. Cette situation est probablement favorisée par deux facteurs : un lieu non-clos à la différence d’une salle d’activité ou d’une salle de classe d’une part, et le fait que l’adulte ne se positionne pas en « sachant », d’autre part.
- En classe, les élèves sont notés. On cherche à se comparer, à être meilleur que l’autre. Cette situation ne favorise pas la coopération des élèves. Jusqu’à deux ans, les enfants coopèrent de manière naturelle et ensuite, on se pose la question de savoir ce qui se passe. Après deux ans, ils se retrouvent dans un système où on leur demande de travailler pour eux-mêmes.
- Pourquoi, si ces méthodes sont tellement positives, ne les mettons-nous pas réellement en place ? Y-a-t-il un lobby ? Un complot ?
- C’est plus simple pour l’enseignant de prendre son cours et de simplement le transmettre. C’est plus simple pour l’égo des personnes plutôt que de réorganiser sa classe. Probablement que la hiérarchie ne va pas être d’accord et demander à l’enseignant de rester dans la ligne.
- À partir du moment où on cherche à enseigner de manière fructueuse, il faut mouiller sa chemise. Il faut du jeu. Pour cet enseignant, ancien instructeur à l’UFCV (Union Française des Colonies de Vacances), l’étude de la place du jeu était centrale. Il était donc très attentif à une foule de choses.
- Petite anecdote : lors de sa première affectation en collège, cet enseignant a été accompagné par sa maman pour aller voir le principal du collège. Sa maman indique au principal : « Mon fils va être bien parce qu’il a été moniteur de colonie de vacances. » Le principal n’était pas d’accord avec ces propos et l’a signifié : « L’école, c’est pas une colonie de vacances !».
- Les enseignants ne sont pas accompagnés dans le développement de leur capacité d’écoute des élèves.
- C’est difficile pour un enseignant formaté par l’institution depuis son enfance de faire un pas de côté pour observer ce qui se joue devant lui. On risque de toucher aussi à son éducation et à son identité personnelle en même temps que professionnelle. Il y a peut-être une capacité à développer chez l’enseignant ou tout éducateur, à faire ce pas de côté lorsqu’il navigue entre plusieurs statuts (familial, bénévole, enseignant, militant…) qui enrichissent son métier de base et lui permettent de sonder ses espaces de liberté.
- Dans les pédagogies du type « travail libre par groupe », si ce sont les élèves qui s’organisent, cela doit prendre beaucoup plus de temps. Les enseignants disposent-ils du temps pour le faire ?
- « Enseignant en histoire-géographie, j’ai lu entre les lignes pour avoir mon espace de liberté. » La liberté pédagogique est inscrite dans les instructions officielles.
- « Aujourd’hui, être enseignant, c’est être spécialiste d’une discipline. C’est transmettre cette discipline dans le respect des programmes ».
- Est-ce que le problème ne se situerait pas dans la formation des enseignants ? Cet enseignement correspond-il aux enfants accueillis ?
- En écho aux échanges précédents, on parle d’une expérience dans l’apprentissage de l’informatique d’un participant : lorsqu’il a débuté sa carrière, il n’existait aucune formation liée à l’informatique, on apprenait en faisant et en échangeant avec les autres. À DMC, un groupe de 6 personnes a été mis en place pour développer les solutions informatiques de l’entreprise. Le chef de projet venait avec des problématiques et les informaticiens présents se partageaient le travail en fonction de leur intérêt et de leurs compétences. Il y avait de l’émulation et non de la compétition. Le résultat allait du « plat de nouilles » au « chef d’œuvre » informatique. On peut ainsi se poser la question du fonctionnement des groupes et de leur composition.
- Il y a un point très important : il ne faut pas être seul dans une position d’innovation. Il faut être accompagné par un autre collègue au minimum pour pouvoir avancer. C’est l’idée aussi de la Maison de la Pédagogie.
- Cousinet avait trois règles dans le travail libre par groupe : les élèves se mettent librement en groupe pour travailler le sujet qu’ils veulent ; l’enseignant n’intervient pas lorsque le groupe travaille sauf à la demande du groupe ; le groupe doit aller au bout de son travail et fournir un travail abouti. Ce n’est pas toujours aussi simple pour l’enfant d’arriver à cette dynamique. Meirieu parle de leadership pour permettre au groupe de se mettre au travail. Est-il toujours aussi facile dans la classe de faire vivre ces travaux en sous-groupe ? Le réel est quand même plus complexe que ce que montre la vidéo de Meirieu.
- Freinet proposait aussi des travaux de groupes. Il proposait quelque chose de plus global avec notamment des outils. Il ne suffit pas de dire : « Mettez vous ensemble ! » pour voir les groupes se former et coopérer.
- Lors de la préparation d’une intervention au Rezo!, on passe du temps dans la préparation pour se laisser des marges de manœuvre, des outils de secours pour accompagner le groupe. Au Rezo!, l’animateur fait fonctionner la coopération pour trouver les ressources, il n’est pas personne ressource, ni « sachant ». L’enfant est alors porteur de son savoir. Il est à la fois ignorant et « sachant ». Peut-être que Claire Héber-Suffrin pourrait intervenir dans le groupe en tant que grande pédagogue ?
- Un enfant va à l’école pour apprendre des choses pour lui-même, on ne peut pas le laisser tout le temps aller en forêt. Comment fera-t-il pour apprendre à lire, écrire ou compter ?
- L’enfant a, par moments, des intérêts particuliers pour des apprentissages, il est « plus apte » à entrer dans certaines connaissances. Le souci, c’est que son rythme propre semble cassé par les programmes, par le cadrage des enseignements. On casse l’élan de l’enfant d’un coup, on le démoralise. L’enfant est pourtant curieux de tout.
- Effectivement, dit comme ça, l’enfant ne va pas apprendre à lire et à compter en allant toujours en forêt, mais en s’appuyant probablement sur le milieu, qui est riche, et en l’observant, pour être force de proposition et l’amener à... Cela demande à l’enseignant une véritable observation de ce que fait l’enfant, une rigueur importante sur le coup pour pouvoir accompagner l’enfant dans ses apprentissages.
- On peut distinguer, dans le travail de l’enseignant, trois types de travail : le travail anticipé, le travail du moment avec les élèves et le retour réflexif sur ce que l’on a fait, sur la manière de travailler. Ce moment réflexif étant tout aussi important que les deux autres temps de travail, il permet d’améliorer sa pratique, d’y porter un autre regard.
- Pour Cousinet, ce qui compte c’est d’apprendre. Pour lui, il faudrait arriver à se passer du programme officiel. C’est peut-être cette posture particulière qui ne lui a pas permis de diffuser ses idées à grande échelle.
- L’élève doit d’abord apprendre pour lui. Mais on peut se poser les questions suivantes : qu’est-ce qu’apprendre ? Est-ce que c’est être conforme à ce que le maître attend de lui ? Est-ce s’approprier le savoir ? Le groupe a une grande importance dans l’appropriation du savoir.
- L’enfant va apprendre ce qui lui est utile dans la vie : lire, compter, un peu de culture générale, l’esprit critique surtout.
- Par rapport à l’esprit critique, quand on est toujours dans l’écoute de l’adulte et que l’on dit: « Oui, amen » à tout ce qu’on dit, comment l’enfant peut-il apprendre à être critique ?
- Il y a un programme scolaire mais on peut l’aménager. Encore un problème des profs ?
- Il y a des possibles mais les enseignants ne s’y attellent pas.
Retour sur la séance
Les personnes présentes sont contentes d’avoir pu partager un moment ensemble autour d’un pédagogue nouveau pour elles :
- Celle présente pour la première fois souligne la diversité des univers professionnels et l’importance de pouvoir exprimer son avis.
- D’autres expriment leur intérêt toujours intact pour ces questions pédagogiques.
- Il est à noter la fluidité des échanges grâce à l’animation et la modération des prises de parole.
- On apprécie aussi :
- la structuration du temps qui permet à chacun de se retrouver tout au long de la séance,
- la qualité des échanges, le fait que chacun vienne avec son « matériel » pour échanger,
- le fait de devoir expliciter ses positionnements, leur donner vie pour donner une vision à tous de ce que la personne souhaite exprimer au groupe.
Plusieurs demandes émergent du groupe :
- Revenir sur le fait de « s’approprier le savoir » : qu’est-ce que c’est pour nous ?
- Le professeur est-il obligé de boucler le programme pour respecter la continuité du cursus scolaire d’une année à l’autre ?
- Comment se passe l’évaluation chez Cousinet ? Et aujourd’hui : avantages et inconvénients de l’évaluation.
- On parle souvent de savoirs mais pas de CO-NAISSANCE, de la naissance d’un savoir, d’un apprentissage né de l’interaction avec l’autre.
Une pensée :
« On apprend toujours seul mais jamais sans les autres. »
Philippe CARRÉ - L'Apprenance : vers un nouveau rapport au savoir, Dunod, 2005
Prochaine rencontre
Avant de répondre à l’une des demandes particulières du groupe, nous rencontrerons un autre grand pédagogue : Paul Robin (1837-1912) que personne ne connait dans le groupe ! Le lien vers la vidéo pour prendre de l’avance : http://meirieu.com/EDUCATION%20EN%20QUESTION/robin.mp4
Nous parlerons la prochaine fois plus longuement de ce que nous ferons à partir de janvier, en espérant que nous serons nombreux. La prochaine rencontre est fixée au mercredi 09 décembre à 18h30.
UTILISATION DE ZOOM
Quand on fait des réunions sur Zoom, il y a quelques éléments à installer en amont si on ne s’est jamais connecté avec l’application. Prévoir 20 minutes.
Pour s’inscrire, envoyer un mail à Jean-Pierre et Tina pour obtenir le lien de connexion.
Trace rédigée par Maïté PROBST
Novembre 2020