À la rencontre des grands pédagogues : Paul ROBIN (1837-1912)
Rencontre
Mercredi 9 décembre 2020-de 18 h 30 à 20 h 30
Qui connaît Paul Robin ? Sans doute pas grand monde.
Plilippe Meirieu a pourtant choisi de lui consacrer une petite vidéo dans sa série "L'éducation en questions", au même titre que Decroly, Freinet, Montessori, Neill et bien d'autres "grands" pédagogues de tous les temps et de tous les continents.
Alors, en quoi ce directeur d'orphelinat au parcours tumultueux, contemporain de Jules Ferry, de l'école de la République, laïque, gratuite et obligatoire mérite-t-il notre attention et sa place dans nos rencontres mensuelles ?
Comme à chaque fois, participer à ces réunions, c'est bien plus que découvrir ou re-découvrir le parcours et l'oeuvre d'une des grandes figures de notre patrimoine pédagogique et éducatif ; c'est aussi établir, à travers elle, un double dialogue entre hier et aujourd'hui et entre personnes d'horizons différents. C'est toujours interroger les valeurs et les pratiques des uns et des autres sans des échanges hors de tout jugement et de toute prescription.
Animation
Atelier animé par Jean-Pierre Bourreau (membre du Comité d'Animation de la MPM) et Tina Seltzen (REZO!)
Trace de Jean-Marie NOTTER
Quatorze personnes se retrouvent à distance pour cette rencontre avec Paul Robin.
Après s’être donné un temps de réflexion, les participants sont invités d’une part, à relier le nom de Paul Robin à un animal, à un personnage célèbre, à une qualité ou à un défaut et, d’autre part, à énoncer l’idée pédagogique forte portée par cette personne.Cela donne :
- un seul animal : le papillon
- pas de personnage célèbre
- des qualités : l’audace, le courage, un précurseur (cité quatre fois), un militant, inspirateur de Freinet, avant-gardiste qui croit et fonce au point de finir par se faire éjecter du système
- les idées pédagogiques :
- l’éducation intégrale (cité deux fois)
- ne pas se spécialiser trop tôt (cité deux fois)
- s’occuper de l’esprit et du corps (cité deux fois)
- papillonner, l’autonomie, la mixité (cité deux fois)
- éduquer l’être dans sa globalité
- libre développement du cœur
- la plus grande égalité possible
Les échanges s’engagent alors avec, dans un premier temps, un rappel historique : l’action de Paul Robin coïncide avec la naissance de l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire.
Ils se poursuivent ensuite autour de quatre axes qui pourraient être :
- la mixité, un enjeu qui reste actuel
- un précurseur aux préceptes oubliés
- des pistes pour évoluer ?
- un cruel constat
La mixité, un enjeu qui reste actuel
Robin prône l’égalité filles-garçons dans l’orphelinat mixte qu’il dirige (c’est d’ailleurs ce qui causera sa perte). Il organise des sorties et des séances de piscine mixtes ce qui le pose comme un précurseur des classes vertes.
Si pour certain(e)s l’idée de mixité progresse dans l’Education Nationale, pour d’autres, rien n’est moins sûr dans la réalité des faits. Accepter de travailler, de faire du sport dans des groupes mixtes n’est pas une évidence. Cela suppose la mise en place de règles de fonctionnement adaptées. La coopération des enfants de sexes différents n’est pas une évidence : lors d’échanges de savoirs, on observe que les garçons se tournent spontanément vers des professions dans la mécanique ou la médecine, alors que les filles parlent plutôt de coiffure ou de lecture. La mixité discutée ne peut pas être simplement obligée : il faut la travailler, casser les schémas, donner place à l’échange, rendre des activités comme la cuisine ou le foot obligatoirement mixtes. Il est important que des garçons préparent les yaourts, le pain ou s’occupent des petits, et que les filles manipulent le cutter ou la ponceuse. Ces travaux peuvent ensuite fournir la base d’activités d’apprentissage. Actuellement des enseignants se battent pour emmener des filles à la piscine. Il faut libérer la parole des enfants sur la mixité ; il faut qu’elle soit une réalité vécue physiquement.
Pour aller au-delà du principe, il faut donner du temps aux activités manuelles. C’est souvent en fonction de l’orientation. Le chemin qui peut mener de la couture à la géométrie dépend de la volonté de l’enseignant.
Dans les écoles Steiner, tous les élèves apprennent à tricoter, à travailler le bois ou à la forge ; c’est dans le programme.
Dans nos vies d’adultes, il n’y a pas souvent un mélange d’hommes et de femmes. Comment alors, faire faire à des enfants ce qu’on n’est pas capable de faire soi-même ?
La question du genre se pose à tous les niveaux : « née en 1973, j’avais des difficultés en bricolage, en mécanique, en travail sur bois ». La question du sens est généralisée.
Un précurseur aux préceptes oubliés
Avant les lois sur la laïcité (1905), l’emprise de l’église catholique était très importante. L’idéal républicain d’une éducation sans Dieu, sans patrie, passait mal dans une école qui formait des soldats. Plus récemment encore, on se souvient d’avoir dû décrocher des croix dans des classes.
Aujourd’hui, peu d’écoles revendiquent une filiation avec Buisson ou Robin mais ils se posent comment des inspirateurs de Freinet.
Comme dit Meirieu, suffit-il de déclarer l’égalité pour la mettre en place ? Un des principes de Robin était de ne pas spécialiser trop tôt : borner les enfants du peuple à l’apprentissage d’un métier constituait une forme moderne de l’esclavage. Il incitait les parents à venir enseigner, sans barrières, en s’ouvrant à la perméabilité, à l’éducation mutuelle. Après lui, on observe une rigidification de la forme scolaire. La mixité est mise de côté, tout comme les activités intellectuelles, physiques ou artistiques. L’apprentissage est mal vu. On est loin de l’homme complet : en même temps travailleur et savant, dans l’action et dans la conception alors qu’il s’agit d’être homme au-delà du métier. Aujourd’hui, le travail intellectuel et manuel sont dissociés. Nous sommes loin de la globalité de Robin.
On se souvient de l’époque de l’EMT (Education Manuel et Technique) en 4ème et en 3ème, où on faisait de la pâtisserie, de la couture, du repassage. Cette discipline était ouverte sur la vraie vie. Certains garçons ont découvert qu’ils étaient meilleurs que les filles dans des activités dites féminines tout comme on pouvait apprendre à lire en faisant de la pâtisserie. Il ne faut pas sous-estimer le rôle des parents et des schémas qu’ils portent et transmettent : pour certains, un homme doit savoir faire de la mécanique, par nature.
En France, les mentalités n’évoluent pas aussi rapidement que les lois, sauf peut-être pour la cuisine. En Allemagne, en Suisse, les meilleurs vont en apprentissage ; des hommes et des femmes politiques sont issus du monde du travail. En France, les métiers manuels ne sont pas reconnus ; il suffit de voir les salaires, alors qu’en Allemagne, les dirigeants d’entreprises passent par toutes les étapes.
La visite d’une caserne de pompiers peut être un sujet de motivation : c’est une ouverture qui permet de se projeter, et c’est ce type de démarche qui manque.
Très concrètement, si l’objectif est d’amener l’enfant à une vie réussie, on s’est perdu en décrétant qu’il fallait amener le plus grand nombre au bac, sans penser à l’éducation globale. Les enseignants et les syndicats portent aussi une responsabilité dans l’injonction : « Tous au bac ! »
On déplore aussi l’absence ou la difficulté de trouver des passerelles. L’Education Nationale n’est pas capable de s’adapter à une société en mutation dans laquelle on n’exerce pas le même métier toute la vie. Dans le film sur Robin, on voit que les ouvriers peuvent s’intéresser à l’art : il n’y a pas de barrière à priori.
Des pistes pour évoluer ?
En jardin d’enfants, avec des enfants entre 3 et 6 ans, on doit se demander quel est l’environnement le plus adapté pour eux. Dans quelle mesure l’éducatrice peut-elle être une référence dans leur recherche du sens de l’équilibre, du toucher, de la vie ? Ils savent faire beaucoup de choses et doivent pouvoir se sentir en confiance dans leur envie de découvrir le monde.
Transformer la classe en cirque, au sens propre, est une décision, une autorisation qu’on se donne (ou pas). Il s’agit de s’autoriser, de s’« auteuriser » à le faire. Si nous voulons que les enfants aient confiance en eux, il faut qu’ils se jettent à l’eau et, pour cela, il s’agit de créer des situations vraies, comme une vraie classe verte où les élèves sont impliqués dans les finances, les repas. C’est la vie qui nous entoure qui est une source d’apprentissage. On se souvient d’être allé à la FNAC après avoir donné 10 francs à chaque enfant : ils se sont retrouvés à quatre pattes à faire des calculs de décimales … Et que dire des classe préparatoire où on a du mal à proposer des problèmes de concours sur de vrais sujets de vie ?
Quelle chance des enseignants de collège ou de lycée, braqués sur leur discipline, ont-ils de s’intéresser à l’éducation globale ? Une formation continue, fondée sur des demandes de groupe, leur fait cruellement défaut, alors qu’elle pourrait ouvrir leur horizon vers des travaux interdisciplinaires.
À la base, il y a le sens. Si les opérations (mathématiques) sont abstraites, comment cela peut-il parler à des enfants ?
Un cruel constat
Entre l’éducation globale, intégrale, prônée par Robin, destinée à prendre la personne dans toutes ses dimensions, et l’école d’aujourd’hui, nous observons un énorme décalage. Le système, notre école, vont très mal. Il faut constater que l’école Vitruve (à Paris, dans le 20ème, où sont tournées certaines séquences témoignant d’une mise en application des principes de Robin) n’a pas fait de petits. Le Collège et Lycée Elitaire pour Tous (CLEPT) de Grenoble, va fêter ses vingt ans sans connaître d’équivalent.
Alors, que faisons-nous ? Comment favoriser un changement d’échelle ?
Avant de nous pencher sur la proposition de Tina Steltzlen, consistant à inviter Claire Heber Suffrin (une pédagogue vivante …) qui accepterait de venir témoigner de sa démarche en visio-conférence, nous procédons à un retour sur la séance de ce soir :
- il apparaît qu’il est utile de voir la vidéo proposée par Philippe Meirieu pour aller préalablement à la rencontre du pédagogue « invité ». Le lien se trouve dans le mail qui nous invite à l’échange mais Tina nous le rappellera ;
- cette démarche nous enrichit les uns les autres, c’est un prétexte pour échanger sur nos pratiques et nous encourager à continuer à les travailler avec les enfants.
- il serait bon de creuser un point spécifique de manière plus approfondie, comme celui du genre, de l’éducation globale, de la place de l’éducation manuelle ;
- nous n’avons pas trop parlé de ce monsieur (Paul Robin) …
- Il est important de disposer d’un espace pour se retrouver mais il faudrait être plus centré sur une question pédagogique plus particulière ;
- « Construire l’humain », c’est « élever » un enfant, et, réciproquement, l’enfant nous élève ;
- les verbes de la soirée pourraient être : s’autoriser, s’auteuriser, oser ;
- … pour que les enfants et les adultes qui les entourent retrouvent le goût du travail qui permet la création et l’expression ;
- une question : qu’est-ce que je fais là ?
Nous terminons sur l’interrogation pressante d’une participante : « Qu’est-ce que je fous là ? Qu’est-ce que nous faisons là ? »
Trace réalisée par Jean-Marie NOTTER,
Décembre 2020