Le 9 octobre 2021, la Maison de la Pédagogie de Mulhouse
a fêté son 5e anniversaire et les 100 ans de l’Éducation nouvelle
Dès le départ, la journée a été conçue comme une invitation à commencer à inventer ensemble « une nouvelle éducation nouvelle ». Par souci de cohérence avec le projet, ce fut donc une journée sans conférence magistrale le matin, sans ateliers prédéfinis l’après-midi, de façon à laisser le plus de place possible à la créativité et à l’inventivité des participants.
Dans le cadre chaleureux et accueillant du Moulin Nature de Lutterbach, une quarantaine de personnes se sont réunies pour ouvrir le champ des possibles et inventer une éducation en prise avec les défis de notre temps, en résonance avec le mouvement « Convergences pour l’Éducation nouvelle » lancé à Calais, le 3 juillet dernier.
Après le pot de bienvenue, ce sont les jeunes de l’atelier du TNS (Théâtre national du sécateur, de Voegtlinshoffen) qui ont ouvert la journée avec des paroles d’élèves d’aujourd’hui, des extraits de textes d’auteurs de l’Antiquité se plaignant des nouvelles générations, la fin du discours qu’Adolphe Ferrière a prononcé au Congrès de Calais, en août 1921, en dénonçant les méfaits de l’école de son temps (et peut-être encore du nôtre). Rires et sourires dans l’assistance, qui ont vite fait place à l’émotion suscitée par l’interprétation d’un extrait de la pièce « Assoiffés », de Wajdi Mouawab qui évoque la difficulté de grandir dans le monde d’aujourd’hui.
Sans transition, le relais a été pris pour présenter un état des lieux partiel de la place de l’Éducation nouvelle autour de nous, aujourd’hui, notamment dans sa contribution à la lutte contre les inégalités scolaires. Se sont ainsi succédés les représentant(e)s des mouvements pédagogiques et des structures éducatives suivantes :
- le REZO, version mulhousienne des RERS (Réseaux d’échanges réciproques de savoirs, fondés en 1971 par Claire et Marc Heber-Suffrin) ;
- la Pouponnière de l’Ermitage, à Mulhouse, institution pionnière dans la prise en charge de la Petite Enfance, qui met aujourd’hui en œuvre la pédagogie Pikler-Loczy ;
- l’ICEM 68 (Institut coopératif de l’École moderne), qui regroupe les enseignants du Haut-Rhin qui se reconnaissent dans la pédagogie Freinet ;
- le GFEN (Groupe français d’Éducation nouvelle), branche française de la Ligue internationale de l’Éducation nouvelle, dont nous fêtons le 100e anniversaire ;
- la pédagogie Steiner-Waldorf, présente dans deux établissements hors contrat du département, à Colmar et à Wittelsheim ;
- la pédagogie Montessori, à l’origine de la création de plusieurs écoles hors contrat dans la région et dans le cadre des Ateliers de la Vie, à Mulhouse, établissement d’accueil des jeunes enfants.
Selon la modalité de leur choix, seul(e)s ou en groupe, les intervenants(e)s avaient à dire et/ou montrer en quoi leur pratique permet de cultiver l’envie d’apprendre chez tous les apprenants, d’une part, et de prendre en compte les élèves, jeunes, apprenants dans leurs différences et leurs caractéristiques (leur potentiel personnel ; leurs intérêts, leurs besoins), d’autre part.
Grâce aux échanges qui ont suivi, on a pu revenir sur des points précis, et souligner l’importance de la liberté, de l’autonomie, de la coopération.
La présence de l’Adjointe au Maire de Mulhouse en charge de l’éducation a permis de préciser le domaine de compétences de la Ville en mettant, notamment, l’accent sur l’interdépendance entre la pédagogie et l’architecture scolaire et, plus largement, entre l’éducation et l’urbanisme.
La pause méridienne n’a pas été suffisante pour pouvoir profiter à la fois du buffet, des ouvrages proposés par la librairie 47° Nord et de la nature autour de l’ancien moulin…
L’après-midi s’est tourné vers l’avenir de l’Éducation nouvelle et la parole a été donnée à l’ensemble des participants à partir de la formule : « Pour moi, inventer une nouvelle Éducation nouvelle, c’est avant tout… ».
Chacun a été invité à compléter la phrase et à l’écrire sur une feuille, en précisant quelle est sa forme d’expression préférée. Puis, porteur du fruit de sa réflexion personnelle bien en vue, chacun a librement déambulé à la recherche d’âmes sœurs ou d’esprits frères. On a ainsi pu lire : Pour moi, inventer une nouvelle Éducation nouvelle, c’est avant tout ...
- accueillir l’autre pour créer du commun pour le monde, pour aujourd’hui et demain.
- cultiver la puissance de vie de l’humain.
- rencontrer l’autre dans la profondeur de son regard.
- accompagner enfants, professionnels, parents
- faire confiance
- rêver, avoir le droit de s'ennuyer
- être soi-même
- écouter, analyser, s'adapter
- aller à notre rythme
- s'adapter, cultiver la bienveillance, favoriser l'autonomie, sensibiliser, respecter le choix de l'autre s'il ne veut pas apprendre
- accueillir l'enfant dans sa singularité, son environnement et le tout
- comprendre, aller à la racine
- développer les liens avec la nature au sens large pour comprendre la vie sur la Terre
- former des éco-citoyens dotés d'esprit critique, capables d'inventer et de s'adapter
- éduquer à la complexité dans l’interdisciplinarité.
- avoir un regard réflexif sur sa pratique, rester ignorant d'une infinité de choses.
- rompre avec la forme scolaire actuelle
Des groupes à géométrie variable se sont ainsi progressivement formés à partir d’affinités électives, avec pour mission d’élaborer une « œuvre ».
Ce qui fut dit fut fait et, au bout d’une bonne heure et demie de « tempêtes de crânes », les groupes se sont retrouvés en assemblée pour présente leur production :
1. Une chanson accompagnée à la guitare, qui commençait ainsi : « Un jour on m’a demandé c’qu’est la nouvelle Éducation Nouvelle, On m’a dit … Qu’il fallait coopérer, s’aimer et échanger. Chercher à comprendre et veiller à écouter Mais qu’pour y arriver ce n’était pas encore gagné Qu’il restait encore bien trop de murs à faire tomber. » 2. Des peintures abstraites réalisées à l’aquarelle disposées autour d’un vase avec un bouquet de fleurs pour exprimer le besoin de se recentrer, de créativité, de calme, d’écouter l’enfant, de lui laisser du temps, le besoin de bienveillance. 3. Une grande feuille avec des dessins au feutre accompagnés d’une phrase : "Respectez la volonté de l'auteur : son rythme, ses envies. On n’apprend rien en forçant !" 4. Une autre grande feuille blanche posée au sol de l’autre côté de la précédente, avec des courbes qui mènent à des couples de mots : expérimenter et apprendre, appartenance et identité, limites et règles, estime de soi et sécurité. 5. Un schéma heuristique qui décline les caractéristiques de l’Éducation nouvelle : école publique démocratique, égalitaire, reconnaissance des potentiels, groupes de travail, liberté des apprenants, rencontrer, partager, besoin de points d'appui, besoin de formation, basculer/bousculer, quels savoirs ? émancipation adulte et enfant : RÉSISTER !
6. Un chœur qui, après avoir jeté à la poubelle les attributs de la forme scolaire actuelle, énonce des propositions pour une autre forme scolaire : · créer de nouveaux espaces de vie pour apprendre · prendre du temps · connaître le monde, se connaître (soi) et connaître les autres · prendre en compte l'informel · l'interdisciplinarité qui conserve les disciplines · être dans la complexité des êtres, des savoirs, des relations. 7. Sur une grande feuille, des mots, des injonctions et des interrogations :
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Pas facile de distinguer le « déjà là », le possible, le souhaitable…, les apports de l’Éducation nouvelle et l’élaboration d’une « nouvelle Éducation nouvelle ». À diverses occasions, au cours de la journée, on a souligné l’importance du temps nécessaire pour faire bouger les choses dans les domaines de la pédagogie et de l’éducation. Alors, il eût été étonnant que nous arrivions, au bout de seulement quelques heures, à dégager des pistes communes pour aller vers une éducation en prise avec les enjeux et les urgences de notre temps.
À la fin de cette journée aux allures parfois volontairement déconcertantes, la tradition n’a pas été oubliée : le rituel de la bougie à souffler sur le gâteau a marqué la clôture de ce double anniversaire qui aura permis à des mouvements pédagogiques et des structures locales représentant différents courants de l’Éducation nouvelle de se rencontrer, se découvrir, s’écouter, dialoguer et, espérons-le, leur donner envie de se retrouver pour continuer à tisser ensemble les fils des convergences vers une « nouvelle Éducation nouvelle ».
Jean-Pierre Bourreau,
Avec la contribution de Annie De Larochelambert
et la collaboration de Michèle Sanchez et de Jean-Marie Notter